Sonntag, 10. Februar 2013

La Finance Islamique



Mr Seck, merci d’avoir bien voulu prendre part à ce numéro de Protubérances.




AKN: Mr Seck qu’est ce que la finance islamique ? Qu’est ce qui différencie la finance islamique de la finance classique ?


La finance islamique contemporaine est une finance élaborée à partir des principes de l’Islam. Les cinq piliers de l’islam financier contiennent respectivement 3 principes négatifs (-) et 2 principes positifs (+) : Principe n°1 (-): pas de “riba” (intérêt, usure) ; Principe n°2 (-): pas de “gharar” ni de “maysir” (incertitude, spéculation) ; Principe n°3 (-): pas de “haram” (secteurs illicites : alcool, viande de porc, prostitution, entre autres) ; Principe n°4 (+): obligation de partage des profits et des pertes ; Principe n°5 (+): principe d’adossement à un actif tangible.


Nous avons utilisé l’expression « finance islamique contemporaine » parce qu’aujourd’hui le produit le plus achevé de conceptualisation de l’économie islamique reste la banque islamique qui est née dans les années 70, alors que les principes qui président à son fonctionnement remontent à l’époque mahométane (au VII siècle après Jésus Christ).


La différence entre la finance islamique et la finance classique est que la première relève de l’environnement intangible (principes religieux) et intègre dans son mode de fonctionnement des critères extra-financiers (valeurs islamiques). Alors que la pratique de l’intérêt constitue un des moteurs de la finance classique qui n’exclue pas les secteurs jugés illicites par l’Islam.


AKN: A votre avis est ce que l’on peut appliquer le modèle de la finance islamique en dehors du contexte socioculturel musulman ? En d’autres termes est-il possible d’appliquer la finance islamique dans un pays de tradition chrétienne comme par exemple les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou la France ? N-y-a-t-il pas une condition ou des conditions sine qua non pour l’application de la finance islamique ?


Il est vrai que la finance islamique est beaucoup plus développée dans les pays du Golfe Persique et en Asie du Sud-Est. Pour autant, elle est aussi présente aux Etats-Unis, en Allemagne, en Grande Bretagne depuis 2004 avec trois banques islamiques, en France qui a un institut de finance islamique, une banque de détails destinée aux particuliers, deux masters de Finance Islamique à l’Université de Paris-Dauphine et à l’Ecole de Management de l’Université de Strasbourg et enfin en Suisse pour ne citer que ces pays.


Pour introduire la finance islamique, ces pays ont dû faire des aménagements juridico-fiscaux pour être en phase avec les principes de la Charia. Donc on peut bel et bien appliquer le modèle de la finance islamique dans un contexte socioculturel non musulman. Votre question laisse sous-entendre une idée reçue largement partagée selon laquelle l’appartenance religieuse conditionne un comportement religieux. Loin s’en faut et ce qu’on appelle une appartenance religieuse signifie souvent une appartenance culturelle car la religion sécularisée se fond en élément culturel. Donc, l’argument démographique et/ou religieux n’est pas gage de succès pour la finance islamique. Par exemple, le Sénégal, un pays dont 95% de la population sont de confession musulmane, abrite depuis 1983 une banque islamique (la BIS) et cette dernière n’en sort pas plus que les banques classiques. De même, une étude que nous avons effectuée dans le cadre du GREFIA (Groupe de Recherche sur la Finance Islamique en France), a révélé que l’idée reçue selon laquelle le succès du Halal en France préjugeait du succès de la finance islamique n’a pas résisté à une analyse minutieuse de la réalité, car les 5 millions de musulmans de France (dont beaucoup sont issus de l’immigration) ont un conditionnement religieux et/ou culturel beaucoup plus fort sur le plan agro-alimentaire que sur le plan des finances. Enfin, l’Arabie Saoudite, que l’on pourrait considérer comme un référentiel en termes de représentation de l’Islam, n’abrite que trois banques islamiques.


AKN: Le volume des transactions dans le secteur de la finance islamique a connu une hausse considérable durant ces dix dernières années, est-ce qu’il est possible de dire que dans le moyen ou long terme le système financier international sera halal ?  Autrement dit va-t-on vers une gouvernance islamique du système financier international ?


Il est vrai que les statistiques avancées par les experts traduisent la santé de la finance islamique dont l’encours est aujourd’hui de plus de 1200 milliards de dollars avec un taux de croissance de 15% par an en moyenne. Il est aussi vrai que la finance islamique a pu résister à la crise financière mondiale, mais elle n’est qu’une niche dans l’économie mondiale. En revanche, elle peut constituer une alternative éthique aux dérives du capitalisme financier.


AKN: La finance islamique est-elle un gage de sécurité dans ce contexte de crise économique et financière internationale ? Nous faudrait-il alors une gouvernance islamique au niveau du système financier international afin d’avoir une alternative sûre et exempte de tout dysfonctionnement ?


En effet, le qualificatif « islamique », dans le domaine de la finance, peut renvoyer à la notion d’éthique, surtout par rapport aux dérives du capitalisme financier qui sont de plus en plus dénoncées. Il peut être assimilé à la notion de confiance, même pour les non musulmans. Et, l’on sait que la confiance est une valeur marchande.


AKN: Dans la mesure où le « Halal Banking » constitue une menace pour les transactions bancaires spéculatives et risquées, quelle serait alors la réaction des lobbys financiers qui contrôlent l’essentiel du marché bancaire international ?


L’introduction  de la finance islamique dans un pays donné, c’est toujours la rencontre d’une innovation et d’un contexte socioculturel. Et une innovation est souvent perçue comme un virus dans un corps sain; il fait réagir les différents organes du corps social. Les uns l’adoptent sans problème et les autres la rejettent. Par conséquent, les banques classiques peuvent exercer des pressions au niveau des politiques pour être seules sur le marché. Aussi, les principes islamiques vont-ils à l’encontre de leurs intérêts. D’autres pourraient considérer la finance islamique comme un cheval de Troie idéologique qu’utilisent de façon pernicieuse les islamistes pour financier le terrorisme et anéantir le système civilisationnel des occidentaux.


AKN: Pensez-vous que la finance islamique peut devenir une alternative efficace pour la lutte contre la pauvreté en Afrique subsaharienne et d’une manière générale une solution au sous-développement en Afrique ?


Les chiffres mirobolants de la finance islamique à l’échelle mondiale ne se sont pas encore traduits de façon concrète en Afrique. Pour autant, l’espoir est permis vu l’engouement que suscite la finance islamique en Afrique subsaharienne. Les pays de l’U.E.M.O.A, sous l’égide du Sénégal, sont en train de créer un cadre réglementaire visant à terme le plein épanouissement de la finance islamique car ils sont conscients des opportunités économiques qu’ils peuvent tirer des excès de liquidités des pays du Golfe pour financier leurs projets de développement.


A notre avis, la finance islamique peut beaucoup contribuer à la réduction de la pauvreté en Afrique subsaharienne, mais cela suppose un engagement beaucoup plus fort des politiques et exige la formation en finance islamique de ressources humaines de qualité.


AKN: Quel rôle peut jouer la micro-finance islamique dans le financement des petites et moyennes entreprises aux Sénégal ?


Un rôle très efficace car la microfinance islamique est souvent destinée à des populations déshérités exclues du système bancaire classique. Elle se fonde sur les valeurs de justice sociale, de solidarité active et de dignité humaine. On peut noter, au passage, l’expérience de la MECIS (Mutuelle d’Epargne et de Crédit Islamique du Sénégal) et le PALAM (Programme d’Alphabétisation et d’Apprentissage de Métiers) lancé par  l’Etat du Sénégal et financé par le Fonds de Solidarité Islamique pour le Développement (FSID) de la Banque Islamique de Développement (BID).


La micro-finance islamique peut être très utile au financement des petites et moyennes entreprises au Sénégal, à condition de relever  bon nombre de défis liés à la déconstruction de certaines idées reçues, à la communication, à l’accompagnement des porteurs de projets, entre autres. Car, l’argument éthique ne suffit pas, il faut également de l’efficacité.


D’ailleurs, Zone Finance, en collaboration avec Unacois Jappo et Alhuda CIBE, organise « la journée de la microfinance islamique de l’Afrique de l’Ouest: défis et réglementation », le 20 octobre 2012 à Dakar. La communication que nous devons y présenter s’intitule : « La microfinance islamique au Sénégal : du souci de l’éthique au défi de l’efficacité contre la pauvreté ».


Merci Mr Seck et bonne fin de soirée !




Dr Djibril SECK


Directeur du GREFIA (Groupe de Recherche sur la Finance Islamique en Afrique)


Enseignant dans l’Executive MBA de Finance Islamique de l’Ecole de Management de Strasbourg


Responsable CIFIA Academy (Compagnie Indépendante de la Finance Islamique en Afrique)









 L'auteur Abd El Kader Niang

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