Montag, 27. August 2012

L'homme africain en Europe: Incompréhensions socioculturelles et parallélismes.

 Né le 15 août 1969 à Kinshasa, en République Démocratique du Congo, Patrick Kitenge, fils d’un diplomate congolais, fera ses études primaires et humanitaires alternativement en Belgique (à Liège et à Bruxelles) et en RDC (à Kinshasa et à Lubumbashi). Après avoir commencé des études en médecine à l’Université de Humboldt de Berlin-Est, il changera ensuite de faculté pour se lancer en sciences politiques et devenir un jour lui-même diplomate.
Actuellement il rédige sa thèse de doctorat sur le thème suivant : «Chances et obstacles à la démocratisation en République Démocratique du Congo» sous la direction du Professeur Jacobeit de l’Université de Hambourg, professeur de Sciences Politiques de renommée internationale.

Bonjour Mr. Kitenge, je vous remercie d’avoir bien voulu prendre part à cette émission. Nous avions eu une discussion en prélude à cette édition, et je me souviens, vous faisiez la différence d’entre être noir et être africain. Que signifie pour vous être noir? Et que comprenez-vous par être africain?

On construit en général son identité en se comparant ou en se démarquant des autres. Quand on a une peau noire et que l´on vit en Afrique centrale, comme par exemple au Congo, on ne se pose pas vraiment la question de savoir, c´est que cela signifie d´être noir, car on vit dans une majorité noire. Être noir, alors, est une identité qui m´est devenue consciente quand je me suis rendu en Europe. J´ai alors remarqué que la couleur noire de ma peau se démarquait de la majorité blanche et que les regards de cette majorité en mon égard était très ambivalent. Donc, je faisais partie d´une minorité visible. L´avantage d´appartenir à une minorité est que l´on fait partie du groupe qui fait avancer une société, qui la rend politiquement plus moderne, plus ouverte et culturellement plus créative, notamment dans la musique et les trends de la mode. Vous pourrez constater que les pays qui prennent plus en compte leurs minorités, ce sont les pays du monde les plus stables politiquement et les plus équitables socialement. Comme au Canada ou dans les pays scandinaves entre autres.
L´inconvénient de la “visibilité“ de ma minorité est qu´elle est bien sûr plus exposée à des attaques injustifiées de la majorité. Un blanc français en Allemagne de l´est fait partie d´une minorité. Mais il ne subira pas les mêmes discriminations qu´un noir français.
Donc, être noir pour moi, c´est appartenir à une minorité visible, très créative culturellement et sensible à toute forme de discriminations.

Être africain, c´est ma première identité. J´ai toujours été africain et je le serai toujours, mais « noir », je le suis devenu. Même si je vis déjà longtemps en Europe, l´Afrique reste le continent de mes racines, de mes aspirations. Être africain, c´est faire partie d´une entité socioculturelle qui revendique à juste titre d´être le berceau de l´humanité, mais qui aux aléas de l´histoire a beaucoup perdu de son identité initiale. Être africain pour moi, c´est être conscient de l´histoire de ce continent, dans son passé meurtri par la traite des esclaves et l’humiliation de la colonisation. Et que l´on doit de surcroît en tant qu´africain mettre son savoir dans le redressement de notre continent.

Ne pensez-vous pas qu’il y a entre nous autres les noirs africains et les sociétés européennes une incompatibilité socioculturelle?

Je ne le pense pas vraiment. Bien sûr qu´il y a des divergences culturelles qui peuvent rendre une cohabitation sociale un peu tendue. Mais l´ Europe et l´Afrique se connaissent maintenant depuis certains siècles et on s´est culturellement très rapproché l´un de l´autre. Le nombre grimpant de mariages mixtes en Europe le démontre.
Les obstacles d´ordre religieux ont aussi été surmontés, d´autant plus que l´Islam par exemple, qui est pratiqué dans la plupart des pays africains subsahariens, est très tolérant envers les femmes et leurs droits. Je connais personnellement beaucoup de togolais, de guinéens musulmans mariés à des allemandes et leur couple fonctionne sans problèmes.



Que pensez-vous du débat sur l’intégration des immigrés en Europe généralement et plus particulièrement ici en Allemagne?

Le débat sur l´ intégration des immigrés en Europe a très peu évolué et en Allemagne, on parle d´intégration que lorsque Thilo Sarrazin sort un livre. Et je le déplore beaucoup, parce que les partis de droite au programme populiste envers les étrangers ou les musulmans montent au créneau. Il a déjà des lois très restrictives contre les étrangers par exemple aux Pays-Bas, au Danemark, parce que leurs gouvernements étaient ou sont dirigés par des partis de droite qui font des coalitions avec des partis d´extrême droite. En Allemagne, dans certains « Länder », on doit passer maintenant des tests pour acquérir la nationalité allemande.
Le débat sur l´intégration en Allemagne n´a vraiment jamais encerclé le noyau du problème : le manque d´intégration des immigrés n´est pas fondé a priori socioculturellement, mais tout simplement économiquement.
Il y a un exemple assez simple, c´est quand on compare les iraniens et les turcs. Tous deux musulmans, peu importe sunnite ou bien chiite, mais les iraniens se sont beaucoup mieux intégrés en Allemagne que les turcs. Pourquoi ? Parce que la grande partie des exilés iraniens fuyant le régime de l´Ayatollah Khomeiny et se réfugiant en Allemagne, faisait partie d´une élite riche et très bien instruite. Alors les parents de ces enfants riches et bien éduqués vivent dans des meilleurs quartiers, encouragent leurs progénitures aussi à s´éduquer pour rester en haut de l´échelle sociale, etc. Les turcs par contre qui ont été embauchés dans les années 70 pour donner un coup de pouce à l´économie allemande, provenaient d´une couche sociale moins lettrée, moins éduquée et de plus n´a pas été aidée par le pays accueillant pour surmonter les barrières sociales. On les a mis dans des quartiers défavorisés et créé ainsi des ghettos. On n´a pas pensé à éduquer leurs enfants et donc contribuer à leur montée sociale. Le débat sur l´intégration en Allemagne tourne en général sur la recommandation impérative aux étrangers d´apprendre l´allemand. Ce qui est juste, mais ce n´est pas tout. L´intégration n´est pas seulement l´apprentissage de la langue, c´est beaucoup plus profond que cela. C´est d´abord d´avoir le sentiment d´être le bienvenu et accepté dans cette société. C´est avoir un travail qui vous donne une certaine reconnaissance sociale au sein de la société. Et là, on n´est encore très loin de cela.

Selon vous, est-il possible de parler d’intégration au vu de tous ces problèmes liés à la diversité culturelle entre les peuples et le contentieux politique non soldé entre certains de ces peuples?

A priori une diversité culturelle n´emmène pas forcément des conflits. Elle peut être enrichissante et épanouissante pour une société. Je pense que l´on ne peut parler que d´intégration et non d´assimilation comme on l´a entendu dans certains débats politiques en France. Mais, une société multiculturelle doit trouver un modus vivendi pour surmonter ces problèmes et devenir une société interculturelle, donc pas une société où les culturelles différentes vivent simplement les unes à côté des autres, sans pour rien connaître l´une de l´autre, mais qu´il y ait une réelle interaction entre elles.

Que vous inspire l’existence de microsociétés issues de l’immigration qui vivent en parallèle à la main stream society si j’ose l’appeler ainsi ? Est-ce un isolement délibéré de la part de ces immigrés eux-mêmes ou est-ce plutôt une exclusion subie de la part de la main stream ? Ou est-ce peut-être les deux à la fois?

Je pense qu´il y a des deux. J´en ai déjà parlé ci-haut. D´un côté, cette exclusion est  voulue. En Allemagne et même en France, il y avait des quartiers réservés aux étrangers. Les banlieues parisiennes sont ces « ghettos urbains » dans lesquels la migration travailleuse issue du Maghreb avait été parquée. Et les résultats, on les connait aujourd´hui.
Mais, d´un autre côté, les étrangers acceptent ce fait d´exclusion et organisent leur « petit monde » dans un autre monde. Alors, on reste entre nous, on se marie entre nous et on s´éloigne peu à peu de la société de l´où on vit.

Vous parlez d’incompréhension socioculturelle, une incompréhension peut-elle à elle seule expliquer tous ces problèmes liés à l’intégration? N’y-a-t-il pas selon vous, de part et d’autre de la société, une dose de refus volontaire de l’autre?

Ah, mais bien sûr, et ce refus volontaire de l´autre est basé sur l´incompréhension. Mais l´incompréhension doit être surmontée par la tolérance. Mais, il y a des limites. Par exemple, je ne comprends pas pourquoi certains parents musulmans n´envoient pas leurs filles faire de la natation ou le sport avec d´autres enfants. Mais je dois être tolérant et accepter que ces parents aient leur conviction religieuse et désirent que cela soit respecté. Mais le tout doit rester dans le cadre républicain de la constitution et respectueux des droits de la femme.
Une dose de refus volontaire de l´autre existe dans chaque société : le racisme, la xénophobie, le tribalisme, le sexisme, l´homophobie ne sont qu´autre forme de ce refus de « l´autre ».

Qu’est-ce qui explique selon vous ce refus?

Il y a à ce sujet plusieurs théories en psychologie qui expliquent ce genre de ce refus. La discrimination d´une minorité par une majorité est bien expliquée par « l´hypothèse de la frustration » : en période de crise, de chômage accru dans une société, la majorité cherchera à trouver un « bouc émissaire » qui sera rendu coupable de tous les méfaits économiques de la société. Donc, on va canaliser toute l´énergie de sa frustration sur une minorité qui ne peut pas trop se défendre, au lieu d´attaquer les vrais responsables de la crise, donc le gouvernement en place et la politique qu´elle fait.

Les diversités socioculturelles, ethno-raciales, confessionnelles, identitaires etc.… constituent-elles à votre avis une richesse pour l’humanité ou plutôt un défi à relever ?

Absolument une richesse et toute personne qui prétend autre chose est vraiment très pauvre d´esprit. De par ma propre biographie, en tant que fils de diplomate, j´ai eu dès mon plus bas-âge à côtoyer les cultures différentes. Et cela a réveillé en moi cette fascination pour l´autre culture qui restera ancrée en moi toute ma vie. Bien sûr que « l´autre », l´inconnu, peut d´abord susciter la méfiance et chaque enfant a dans la croissance de sa personnalité cette phase où il s´accroche à sa mère, aux personnes qu´il connaît et a peur de l´autre. Mais on a tous dépassé cette phase à un jour, parce qu´on a appris à surmonter notre peur et à aller à l´encontre de l´autre.
J´aime le brassage des cultures, le métissage des peuples et le fait de surmonter les barrières religieuses. Je suis sûr que si beaucoup de personnes pensaient comme cela, et bien, notre monde serait meilleur. Vous ne pensez pas ?

Pensez-vous que la mobilité actuelle des individus et des peuples -qui est du reste le fait de la chute des frontières entre les états, du développement accéléré des technologies de transport et de la globalisation des activités humaines entre autres- peut contribuer à annihiler les nationalismes, les extrémismes, le racisme etc.… ? Ou est-ce plutôt un phénomène qui risque de faire empirer ces problèmes ?

C´est une question difficile à répondre en quelques mots, mais je pense malheureusement que la situation va dans le mauvais sens : plus le monde devient « global », plus « planétaire », plus il y a ce besoin de se retirer dans un petit village appelé « nation ». Je pense que les perdants de la globalisation cherchent plus de repères nationaux où ils peuvent mieux s´identifier à quelque chose. Cela explique notamment cette croissance des partis d´extrême droite en Europe, qui font de Bruxelles (donc l´Union Européenne) et de la globalisation « les coupables » de leurs problèmes socio-économiques.

Croyez-vous au dialogue entre les cultures, les peuples et les religions?

Disons que le dialogue serait souhaitable, mais comment commence-t-on un dialogue ?
Est-ce que l´on pose des conditions au départ ? Dans quel but doit-il aboutir ?
Parce que les dialogues, il y en a beaucoup, mais aboutissent-ils vraiment à quelque de chose de concret ?
Donc, oui, on doit dialoguer entre les cultures, les peuples et les religions, mais on doit avoir une finalité positive qui mène le dialogue à l´avant. Je peux devenir concret en citant un exemple : ici en Allemagne, il y a la fameuse « conférence de l´Islam » où le gouvernement invite les représentants des grandes organisations musulmanes à dialoguer. Je n´ai premièrement jamais compris pourquoi le tout ce passe sur l´égide du ministère de l´intérieur ? Est-ce que l´Islam pose un problème de stabilité sociale dont le ministère de l´intérieur doit prendre compte ? Pour moi, il y a un manque de sensibilité totale de la part du gouvernement allemand. D´autant plus que le ministre d´intérieur manque absolument de tact sur la question. Donc, on ne peut pas commencer un vrai dialogue de la sorte.

Êtes-vous d’avis qu’il est possible de dissoudre ou plutôt d’assimiler les entités issues de l’immigration dans la main stream des sociétés européennes?

Personnellement, Je n´aime pas trop le mot « assimilation » et encore moins le terme « dissoudre ». Le Front national de Marine Le Pen a usé de ces termes durant toute la campagne électorale en France. « Donc, on ne veut plus de société avec des composantes hétérogènes, on doit être tous les mêmes, pour que personne n´ait plus peur de  « l´autre ». Mais, on n´a pas tous des ancêtres gaulois, comme le souhaiterait Marine Le Pen.
On vient tous de quelque part d´autre, avec notre histoire, nos coutumes, nos traditions, nos m?urs, bref notre « paquet socio-religio-culturel ». Pour moi, on ne peut que s´enrichir en tant que personne, que si on ajoute à notre « paquet » initial d´autres aspects culturels positifs du pays accueillant. Donc, on ne se dissout pas, on ne s´assimile pas, mais on intègre en soi, des éléments positifs du pays accueillant : comme l´apprentissage d´une autre langue, connaître et comprendre la nouvelle société dans laquelle on vit pour devenir un citoyen à part entière de cette société.

Ma dernière question Mr. Kitenge, ne pensez-vous pas que nos gouvernants en Afrique peuvent contribuer à améliorer le statut de l’africain en mettant en ?uvre des stratégies de développement durable de nos pays respectifs ?

Ah mais, bien sûr, c´est une évidence. Mais là aussi, la réponse n´est pas dite en quelques mots. Le tout est de savoir, si les gouvernants africains ont le pouvoir entre leurs mains pour mettre ces stratégies de développement durables. Où sont prises les vraies décisions qui font évoluer les choses ? À Kinshasa, à Dakar, à Conakry ou bien à Paris et à Washington ou bien à la Banque Mondiale ou dans les derniers étages des grandes multinationales  ou dans les loges des réseaux obscures de la franc-maçonnerie ?
Ne vous leurrez donc pas de cette « illusion démocratique » qui veut nous faire croire que les peuples africains et leurs gouvernants respectifs peuvent à eux-mêmes changer brusquement le destin. Oui, la révolution arabe est peut-être un bel exemple d´émancipation d´un peuple, mais il y a plusieurs facteurs qui ont influencé le tout cela et on a vu que la même chose ne se transposer pas dans toute l´Afrique, voire ici la Côte d´Ivoire par exemple.


Je vous remercie Mr. Kitenge









                                                                                                   

Montag, 13. August 2012

Le Sénégal ou l'exception africaine


                                                                                                                                   

Mr. Souleymane Sokome juriste et politologue (Photo)















Souleymane Sokome est originaire du nord du Sénégal plus précisément de la commune de Hamady-Ounaré, située dans la région de Matam. Après avoir obtenu son baccalauréat au Lycée Mixte Maurice de Lafosse de Dakar et son Diplôme d´Etudes Universitaires Générales (D.E.U.G) au Département de Langues et Civilisations Germaniques de l´Université Cheikh Anta Diop de Dakar, il poursuivra ses études supérieures en Allemagne et en France, où il sera diplômé des sciences politiques et juridiques option relations internationales et droit européen et international des universités de Francfort, de Lumière 2 de Lyon et de l´institut européen de l´université de la Sarre.
Dans l´interview qu´il nous a accordée, il donne son point de vue sur la démocratie africaine en général et sénégalaise en particulier, les cinquante années d´indépendance du continent et sur la situation qui prévaut actuellement dans la sous-région ouest africaine.

Le Sénégal est présenté le plus souvent comme étant un modèle en matière de démocratie et d’Etat de droit, qu’en pensez-vous ?

Soixante ans après les indépendances, les régimes démocratiques restent minoritaires sur le continent africain. La plupart des Etats, sans être forcément autoritaires ou répressifs, ne respectent pas les préceptes de l´Etat de droit et favorisent le maintien au pouvoir d´une élite politique voire économique bien souvent à base ethnique. Ces Etats ne respectent pas les règles du pluralisme politique, les Droits de l´homme ou les libertés fondamentales et les transitions démocratiques. En outre, le continent africain a connu entre quatre vingt et quatre vingt cinq coups d´état au cours des cinq dernières décennies. En Afrique de l´Ouest excepté le Sénégal et le Cap-Vert tous les autres pays ont connu des transitions anti-démocratiques. Le Sénégal n´a jamais connu de coup d´Etat.
Si on se base sur cette analyse globale de la démocratie africaine et sans être arrogant, on peut dire que le Sénégal offre une singularité d´être l´un des pays les plus fiables en matière de démocratie en Afrique subsaharienne. La deuxième alternance politique qui vient de se produire au plus haut sommet de l´Etat sénégalais confirme la règle. Une belle leçon de démocratie qui devrait inspirer bien des pays du continent.

A votre avis qu’est ce qui fait le fondement de cette culture démocratique au Sénégal ?

La particularité de la démocratie sénégalaise s´explique par son passé. Le Sénégal a entrepris, bien avant les autres pays africains, de libéraliser sa vie politique, faisant ainsi oeuvre de pionnier sur le continent.
Pendant la colonisation, à la fin du XIXe siècle, l’Assemblée nationale française avait reconnu la citoyenneté aux Sénégalais des quatre communes (Dakar, Saint Louis, Gorée et Rufisque) qui pouvaient donc voter et se présenter aux élections. Dès les années 1970, alors que la plupart des pays d’Afrique subissaient des régimes de parti unique, le Président Léopold Sedar Senghor avait ouvert le pays au multipartisme en reconnaissant quatre formations politiques pour ensuite l´élargir définitivement et le transformer au multipartisme intégral c´est à dire illimité en 1981. Des mouvements politiques et syndicaux de toutes sortes ont pu développer leur action. L’existence d’une « tradition démocratique » sénégalaise existait aussi au-delà de la période coloniale par la prééminence même dans nos royaumes d’un espace public élargi dans laquelle figurait déjà une diversité d’acteurs. Le respect des libertés publiques et individuelles et notamment la liberté de la presse ainsi que la maturité des institutions et des citoyens constituent de nos jours les fondements de la culture démocratique au Sénégal.

Au Sénégal on décompte plus d’une centaine de partis politiques, à votre avis est ce que démocratie veut dire inflation de partis politiques ?

Au Sénégal lors des élections présidentielles de 2012, 174 partis politiques ont été recensés comme légalement constitués par le Ministère de l´intérieur. Etymologiquement, la démocratie signifie la souveraineté du peuple, qui est l'expression de la volonté générale. Et il n'y a pas de souveraineté du peuple sans représentativité. Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser", écrivait Montesquieu en 1748 dans De l'esprit des lois. La pluralité politique est avec le multipartisme au coeur du bon fonctionnement de la démocratie, et constitue de ce fait un rempart contre ces éventuels abus de pouvoir. Par contre il faut souligner qu´au Sénégal le multipartisme entraine souvent des problèmes qui sont entre autres l´absence de véritables projets de société, la prédominance de la doxa sur la mort des idéologies, les alliances contre nature pour la sauvegarde complice d´intérêts, les querelles de positionnement et de tendance qui priment sur l´intérêt général mais aussi la personnalisation des partis politiques. Ce n'est pas la démocratie qui est en crise dans notre pays, c'est la représentativité.
Le multipartisme intégral peut être utile dans une démocratie mais pas forcément nécessaire c´est le cas des Etats-Unis ou la République fédérale d´Allemagne qui ne fonctionnent pas sur le modèle démocratique pluraliste.

Pensez-vous qu’il y a un modèle de démocratie à la sénégalaise?

Pour moi il n´y a pas un modèle de démocratie à la sénégalaise. La démocratie fonctionne sur la base de certaines conditions bien définies. Il ne suffit pas seulement de mentionner l’expression « démocratie » dans nos constitutions par contre , il faut que le régime instauré, qu’il soit parlementaire, présidentiel ou semi-présidentiel etc… respecte un certain nombre de conditions (car il n´y a aucune démocratie parfaite au monde), lesquelles sont absolument indispensables pour voir une véritable démocratie se dessiner : La souveraineté du peuple à travers le suffrage universel, « la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » affirmait Abraham Lincoln. Par le peuple, cela veut dire que c'est le peuple – et lui seul – qui choisit ses élus. Et pour que la totalité du peuple – ou du moins la plus grande partie – exprime sa volonté, il n'y a qu'une seule solution: l'instauration du suffrage universel. Le pluralisme politique, pour que la liberté de vote ne reste pas lettre morte, il est indispensable que les électeurs aient la possibilité de choisir leurs représentants. Pour ce faire, faut-il qu'ils puissent choisir entre différentes formations politiques, entre différents programmes politiques, et entre différents candidats. La garantie des libertés fondamentales, comment imaginer une démocratie sans liberté de penser, de s'exprimer ou encore de se réunir pour débattre des thématiques fondamentales de la société ? La sauvegarde des libertés fondamentales sont primordiales, essentielles et vitales. Il est nécessaire de rattacher ces libertés fondamentales au mouvement du libéralisme politique, historiquement construit contre l'absolutisme. A ces trois grandes conditions indispensables à la démocratie, il est tout à fait possible d'en voir d'autres, par exemple la séparation des pouvoirs. De ce point de vue, il apparait indéniable que le Sénégal a eu à faire preuve de temps forts démocratiques car il réunit les conditions citées en haut même si souvent on note des dérapages.

Le Sénégal a l’instar de plusieurs pays africains a célébré, il y a de cela deux ans, son accession à la souveraineté internationale, quel bilan faîtes vous de ces cinquante années d’indépendance ?

L’année a été l’occasion pour nombre d’analystes de tirer le bilan de l’action des différents gouvernements africains sur le dernier demi-siècle. Cependant, les gouvernements africains se sont distingués dans le choix
de deux stratégies différentes. D´une part une démarche libérale et d´autre part socialiste. La démarche libérale a promu une économie qui se repose sur l’exportation de matières premières, la mobilisation de l’épargne locale et étrangère, le développement des infrastructures économiques et sociales et la constitution de zones monétaires sous tutelle française, en ce qui concerne l’Afrique francophone. L’objectif primordial de cette stratégie était la croissance du PIB, signe d’évolution et de modernisation, sans que l’aspect de la redistribution des richesses et de l’encadrement du creusement des inégalités ne viennent au premier plan. Le résultat de cette stratégie libérale aura été une aggravation de la dépendance économique des États africains vis-à-vis de l’étranger. La stratégie socialiste passait quant à elle par une nationalisation de l’économie, une priorité donnée à la transformation locale des produits, à la création d’un tissu industriel local et au contrôle de la répartition des richesses. Cette stratégie se serait elle aussi révélée en grande partie être un échec. De « L’Afrique noire est mal partie » de René Dumont 1966, en passant par « Et si l’Afrique refusait le   développement ? » d’Axelle Kabou (1991), pour arriver à « L’aide fatale » de Dambisa Moyo (2009), c’est un afro-pessimisme permanent qui est cultivé. L´Afrique est prise aujourd´hui en otage par l´occident sur tous les plans (financièrement, politiquement et économiquement). Sur le papier l´Afrique est indépendante mais en réalité le maître continue toujours de dicter sa loi. Même si tout n´est pas négatif mais comparée au progrès des autres continents, notamment l’Asie qui, comme l’Afrique, a subi les souffrances du colonialisme, l’Afrique se range dans le peloton de queue. C´est à nous maintenant de changer la tendance en comptant sur nos propres efforts pour faire avancer le continent.

Au vu de la situation parfois préoccupante de certains pays de la sous-région ouest africaine, quels conseils donneriez-vous aux acteurs politiques sénégalais ?

Ils doivent être plus vigilants en montrant la capacité de surmonter des crises politiques. La situation géopolitique de la Casamance doit incomber toute la classe politique sénégalaise pour trouver des solutions à la crise. Le Gouvernement du Sénégal, les intellectuels et dignitaires religieux du pays doivent oeuvrer pour la consolidation de la paix. La situation préoccupante dans certains pays de la sous-région constitue non seulement un danger pour la région méridionale du pays mais surtout pour l´ensemble du Sénégal. Quelles que soient les divergences idéologiques et mêmes de convictions religieuses, nous avons tous besoin d’être ensemble, dans le cadre d’un large rassemblement, pour faire face aux menaces qui pèsent dans la sous-région.
Le Président de la République, Son Excellence Monsieur Macky SALL est conscient de la gravité des faits en affirmant au sommet des Chefs d´Etats de l´Union Africaine à Addis-Abeba que « La situation qui
prévaut au Mali constitue une grave menace pour ce pays frère mais également pour la sous-région ouest-africaine ». Il a proposé une opération militaire rapide sous mandat de l’Onu pour la libération du Nord du Mali et la lutte contre les groupes terroristes. Une stratégie que je salue car le Sénégal ne peut pas avoir la paix si la case du voisin brûle.


Je vous remercie Mr. Sokome.

Merci à vous aussi!