Donnerstag, 27. März 2014

Le scoutisme comme cadre idéal dans l’optique d’une éducation civique des masses.

S’il est un mal dont souffre la société sénégalaise, c’est bien l’indiscipline. Et à bien des égards cette indiscipline semble être caractérisée! Pire encore, cette indiscipline nous la vivons au quotidien sans s’en rendre compte tellement qu’elle s’est insérée dans nos mœurs. Nous l’avons assimilée, l’entretenons tel un précieux legs et la perpétrons inconsciemment de génération en génération. Et d’ailleurs il faut faire preuve de discernement pour remarquer cette tare qui s’est incrustée dans notre comportement. D’ailleurs un sénégalais semble sortir de l’ordinaire lorsqu’il est discipliné! 
Cette indiscipline structurelle pour ne pas dire systémique se manifeste sous de multiples formes. Elle peut être simple, inconsciente, volontaire, caractérisée, flagrante, latente, militante, violente, complexe, criminelle etc. Le taux très élevé d’accidents sur les routes et autoroutes du Sénégal en est la parfaite illustration. Ou encore le comportement des supporters dans les stades de foot ou dans les arènes de lutte. Et ce ne sont pas les exemples qui manqueront pour mettre en exergue cet état de fait inacceptable. Loin s’en faut!
Il urge alors de remédier à cet état de fait!
Certes une bonne politique d’éducation nationale, au sens classique du terme, peut aider à aider à endiguer le phénomène ; Une répression policière et/ou pénale peut soit à titre préventif, soit à titre punitif contribuer à lutter efficacement contre ce fléau qui gangrène la société sénégalaise. Mais en plus de ces instruments, la puissance publique sénégalaise peut recourir au scoutisme pour, dès l’enfance, commencer à formater les citoyens sénégalais afin de faire d’eux des individus utiles à la société, aptes à servir la société et capables de vivre en communauté dans le respect des principes et valeurs qui fondent notre société. Le cours théorique d’instruction civique que l’on dispensait jadis à l’école primaire pourra y être développé sous son aspect théorique comme pratique. Il appartient maintenant gouvernement de la République du Sénégal à travers les ministères de la jeunesse et de l’éducation nationale à mener des réflexions allant dans le sens de cette modeste proposition.  

Abd El Kader Niang
Analyste politique


Le Noir: Un spécimen humain en danger.

Si les traites négrières successives, arabo-berbères et européennes, ont réussi a disséminé la race noire sur d’autres terres géographiquement non africaines, force est de reconnaître que l’extermination dont a été victime les Amérindiens et les Aborigènes d’Australie, nous a été épargné, Dieu merci! Nous avons survécu aux traites négrières et à la colonisation, pourra-t-on dire avec stoïcisme. Cependant le bien-être et la survie des descendants d’esclaves noirs africains aux Amériques et ailleurs sont menacés dans la mesure où, le commerce criminel de l’homme noir a certes arrêté, mais il n’a pas été décidé d’accorder à l’homme noir la possibilité d’introduire une demande de relèvement de forclusion. L’homme noir des Amériques, de l’Arabie, du Maghreb et des Indes traine encore en lui les stigmates de l’esclavage et sa condition de servitude antérieure rend difficile voire presque impossible son insertion dans la société post-esclavagiste dans laquelle il évolue. Il est soit condamné aux sots métiers ou soit astreint à faire les basses besognes. Il ne sera accepté que s’il renonce à sa dignité d’être humain et accepte de se réifier, c'est-à-dire d’être l’objet d’assouvissement de tout désir pervers. En le privant d’éducation, de couverture médicale, de protection sociale et d’accès aux ressources financières, les sociétés post-esclavagistes ont fermé au noir toute porte menant à une ascension sociale noble et vénérable. Seuls le sport et la musique lui ont été laissés ouverts, ou du moins on n’a pas pu lui fermer ces fortes. Encore que ce ne soit pas tout le monde qui réussit dans le sport ou la musique. Un stade olympique peut prendre des milliers de places, mais l’aire de jeu quant à elle ne peut juste prendre qu’une dizaine ou tout au plus une vingtaine de joueurs. Est-ce qu’on s’est déjà posé la question à savoir pourquoi les artistes-chanteurs noirs américains ont soudain la peau éclaircie et les cheveux défrisés ? Pourquoi le rôle de la personne méchante dans une télénova brésilienne est toujours interprété par un noir ? Pourquoi ne voit-on pas d’acteur noir dans un film hindou ? Pourquoi le noir danseur est plus célèbre que le noir mathématicien ou physicien ? On nous parle rarement du noir pilote de chasse durant les deux guerres dites « mondiales » ! Que savons-nous du noir propriétaire d’un brevet d’invention ?
Si le juif survivant de l’Holocauste a réussi à s’intégrer ou à réintégrer la société, qui lui avait privé de ses droits fondamentaux d’être humain, c’est parce que d’une part la couleur de sa peau ne rappelle pas Dachau ou Birkenau. Le noir des Amériques par contre, rappelle à son ancien maître blanc, de par sa peau foncée, ses cheveux crépus et ses lèvres charnues sa souffrance dans les champs de canne à sucre sous le soleil de plomb, sacrifice et labeur acharné pour lesquels il n’a reçu que des coups de fouet en guise de paie. Ce sentiment de culpabilité non confessée fait que l’ancien maître blanc, par peur de représailles de la part de son esclave de jadis, se refugie dans le refus et le rejet de celui-ci, en arguant que ce dernier est agressif ou dangereux. La honte et la peur de ce dernier se sont transformées en haine. Cette haine à son tour a pris le nom de police ou de justice. Elle s’appelle en vérité patrouille d’esclave, milice raciste ou organisation ségrégationniste. Elle se dit partisan du maintien de la peine de mort ou peut-être adversaire de la suppression de la peine de mort, mais dans tous les cas elle est, sans aucune autre forme de procès, favorable au lynchage public et légal du noir. Et d’ailleurs comment comprendre que le noir minoritaire au sein population globale des États-Unis, soit majoritaire dans la population carcérale américaine. Comment expliquer le fort taux de chômage du noir aux États-Unis ?     
C'est-à-dire que l’aspect physique du noir, qui est totalement en dissonance d’avec l’environnement socioculturel et ethno-racial dans lequel il a été transposé contre son gré et son vécu passé et présent d’individu sans droit et sans protection dans cette même société font que le noir est resté un élément étranger dans ce corpus qui n’est pas le sien. Il n’arrive pas à se dissoudre dans ce celui-ci et ce dernier aussi refuse de l’absorber. Tel le juif errant, le noir se sent nulle part chez-soi et il est étranger partout. Qu’il soit du Canada, des États-Unis, des Caraïbes ou du Brésil la première question qu’on lui pose ouvertement est la suivante : « D’où venez-vous ? ».  La dernière question qu’on lui pose après une discussion le plus souvent à sens unique et qui a tout d’une séance d’inquisition est quant à elle tacite, et se résume en ces termes : « Quand est ce que vous allez rentrer en Afrique ?». Au colon blanc installé quelque part en Amérique ou en Australie, on ne lui pose jamais la question à savoir, quand est ce qu’il compte rentrer en Europe, terre de ses aïeux. Mais en fait quand est ce que l’exil à Babylone de l’homme noir prendra-t-il fin ? Quand est ce que le noir retrouvera-t-il sa Terre Promise à lui, l’Afrique ? A quand notre Aliyah nous aussi ? Ou sommes-nous peut-être une tribu égarée ?
La tribu de Cham est dans le désert. Elle erre. Elle ignore tout d’elle. Elle ne sait pas que l’Afrique est sa Terre Promise. Elle a fui la maison de servitude, mais la liberté est pour elle un sentiment étrange. La traversée du désert est longue et pénible d’autant plus que Moise est absent et Aaron peine à se faire entendre, la foule qui l’entoure est bruyante, ignare et impatiente. Avons-nous fait un pacte avec Jéhovah pour espérer que la promesse divine faite à nos ancêtres se réalise enfin ? Qu’avons-nous appris de notre exil à Babylone ?  Avons-nous banni la turpitude et la corruption de  nos mœurs ? Avons-nous élu la lumière comme loi ? Avons-nous accepté de rejeter l’idolâtrie ? Avons-nous cessé d’associer d’autres êtres à Dieu ?
S’il est un peuple sur lequel sur le peuple noir à certains égards devra prendre exemple, c’est bien le peuple juif. En effet le peuple juif réussit constamment l’exploit de se remettre de ses tragédies les plus douloureuses, de se réorganiser de manière encore plus efficace qu’auparavant, de préserver son identité culturelle et religieuse, d’assurer sa sécurité et de conserver la mémoire de son vécu tragique en une science historique de récit et d’interprétation actuelle des faits et actes passés. Le peuple juif est un peuple uni dans la diversité. L’homo israelus sait distinguer le superflu de l’essentiel. Il a foi en sa destinée et a confiance en lui-même. Il connaît le mérite de la science et de l’éducation. Il excelle dans l’adversité et fait preuve de fermeté face à l’ennemi. Son sens aiguisé des affaires fait de lui l’argentier dans tout commerce. Il a su conserver une prestance son élection divine. Il a le souci constant de son droit à l’existence et fait valoir ce droit sans complaisance aucune. Il a fait de la lutte pour sa survie sa raison d’exister. La haine que les autres ont envers lui ne l’affaiblit point, au contraire, elle le rend encore plus redoutable dans l’adversité. A l’opposé de l’homme noir, l’homo israelus a un sens inné de l’organisation et une forte conscience de groupe. Son ascendance glorieuse fait de lui un individu fier. Les persécutions subies à Rome, Tyr, Babylone, Dachau, Varsovie et autre part ailleurs l’ont aguerri. La profonde conviction d’appartenir à un peuple élu de Dieu, lui confère une confiance en soi inébranlable. Le peuple juif sait faire taire ses divergences internes et sait prôner l’unité.
Pour le peuple noir par contre la diversité est source de divisions et de tensions. L’homme noir pense que le tribalisme est la meilleure forme d’organisation sociale. Il verse dans le mysticisme pour, croit-il, atteindre Dieu. Sa religion s’appelle culte des ancêtres. La corporation socioprofessionnelle à laquelle il appartient s’appelle caste. Il se dit noble ou se fait appeler griot ou forgeron selon son patronyme. Il a une mauvaise philosophie du travail. Pour lui travail rime avec servitude, peut-être parce qu’il a été asservi ou parce qu’il est lui-même négrier et esclavagiste. Demandes à l’homme noir de créer une nation unie et forte, il mettra sa tribu au-dessus de toutes les autres de sorte que la discorde et la mésentente compromettront le noble projet de vie en commun. Demandes au noir de créer un état juste et fort, il créera une dictature tribale féroce et sanglante. Demandes au noir de nourrir le pauvre et d’aider le faible, il affamera le pauvre et tuera le faible. Et si jamais on lui confiait une malle pleine d’or pour nourrir tout un peuple, il s’appropriera de la plus grande part et laissera les miettes au bas peuple. Demandez-lui enfin d’organiser la Religion, il la divisera en sectes adversaires.
Mais au fait si l’homme noir avait su au lendemain des indépendances organiser l’Afrique de manière à la rendre stable, paisible et prospère, toute la tribu de Cham s’y serait donné rendez-vous pour une messe de retrouvailles. Quod non! Alors comment exiger du noir des Amériques, d’Arabie, du Maghreb et des Indes de revenir sur la terre des aïeux ? Encore que le noir d’Afrique rêve d’évasion, d’exode et d’exil vers Babylone pour fuir la misère, la guerre et la maladie qui se sont installées sur sa Terre Promise devenue enfer sur terre.
                                                                           

Le monologue de Walycor est un chapitre extrait de « Soleil de minuit », roman en cours de rédaction de l’écrivain et essayiste Abd El Kader Niang.      



Les Quinze Points d'Abd El Kader Niang.

1. L’État du Sénégal est religieux, libéral, démocratique et social. Il est cependant équidistant dans la gestion du culte. L’État est le premier protecteur du culte monothéiste et de la famille.
2. Le Président de la République du Sénégal est cumulativement chef d’État et chef de gouvernement. Le poste de Premier Ministre est de ce fait supprimé et remplacé par celui d’un vice-président actif, élu sur la base des mêmes critères que le Président de la République. L’exécutif national est donc unicéphale.
3. Au moins soixante-cinq pour cent du budget national seront alloués par contrainte constitutionnelle à l’agriculture, l’élevage, l’hydraulique, la santé publique, l’éducation nationale et la formation professionnelle.
4. L’enseignement est public, gratuit et obligatoire du préscolaire au supérieur. Des cours de religion seront dispensés dans tous les établissements d’enseignement publics et privés du Sénégal.
5. Le service militaire est obligatoire pour tous les citoyens sénégalais âgés de 18 ans. Un service civique national sera institué comme alternative obligatoire pour les inaptes au service militaire et objecteurs de conscience.
6. La Constitution du Sénégal préverra la dissolution du Conseil Supérieur de la Magistrature, la suppression du ministère de la justice et l’élection des juges et procureurs au suffrage universel direct.
7. Le cumul de mandats électifs est interdit. La durée d’un mandat électif est de cinq ans renouvelable une seule et unique fois. Le calendrier républicain sera organisé de telle sorte que les élections présidentielles et législatives auront lieu simultanément.
8. Par le moyen d’une contrainte constitutionnelle impérative, le nombre de partis politiques sera limité à quatre formations institutionnalisées, et financées par le trésor public.
9. Le code électoral préverra l’organisation et la tenue d’élections primaires libres, indépendantes, démocratiques et transparentes au sein des partis politiques.
10. Les conseils régionaux, municipalités et communautés rurales seront dissouts et leurs compétences transmises respectivement aux gouverneurs de région, préfets et sous-préfets.
11. L’État du Sénégal se réservera le droit régalien et inaliénable de créer sa propre monnaie. Par conséquent le Sénégal s’affranchira du franc CFA.
12. Les secteurs suivants feront l’objet d’un monopole public perpétuel :
. L’eau, l’électricité et les hydrocarbures.
. La santé, l’éducation, la défense et la sécurité.
. Les postes, les télécommunications, les transports terrestres et l’hygiène publique.
13. La Constitution interdira au gouvernement du Sénégal d’intégrer toute forme d’institutions, d’organisations, de régimes et/ou de structures de nature à entraver l’indépendance et la souveraineté du Sénégal.
14. Le droit de vote sera dorénavant exclusivement réservé aux seuls citoyens civils sénégalais remplissant les critères requis. Les militaires et paramilitaires seront interdits de vote. Le prosélytisme religieux sera interdit dans les rangs des forces armées.
15. La prostitution, l’homosexualité, le transsexualisme, le mariage entre deux individus du même sexe et l’homoparentalité seront formellement interdits. La propagande et le militantisme en faveur des ces comportements susnommés feront l’objet de poursuites judiciaires et d’une sanction pénale draconienne. L’adoption, sauf circonstance extraordinaire qui sera définie par une loi, sera strictement interdite et remplacée par une forme de prise en charge publique par l’intermédiaire des services compétents rattachés au ministère de famille.

Abd El Kader Niang 

Maïeutique préliminaire à l’introduction générale au discours sur l‘identité politique nationale et l’appartenance ethno-raciale.
La mondialisation, la chute des frontières, le développement accru de la mobilité humaine, l’intensité des interactions culturelles, le dialogue entre les cultures, les peuples et les religions, la gouvernance internationale de l’économie libérale privée, bref tous ces phénomènes ont-ils sonné le glas de l’État national ? En d’autres termes la globalisation a-t-elle dissout l’identité politique nationale dans un vaste moule abstrait, amorphe et indescriptible ?
L’humanité peut-elle devenir post-raciale ? Peut-on ignorer l’existence des races ? Doit-on feindre d’ignorer l’existence des races pour ainsi se conformer aux normes du politiquement correct d’une civilisation humaine postindustrielle décadente.
S’il n y avait pas de races humaines distinctes les unes des autres pourquoi alors les êtres humains auraient-ils une apparence physique externe différente selon les origines ? Qu’est ce qui expliquerait alors cette catégorisation de la notion d’appartenance en critère de couleurs dites blanche, noire ou jaune selon la situation ? Alors pourquoi parle-t-on de métissage, quand un Noir épouse une Blanche ou vice versa et qu’un enfant naisse de cette union ? Qu’est ce qui explique la biodiversité au sein race humaine ?
La création est plurielle certes, mais est-elle unitaire ?
La diversité ethno-raciale semble constituer une entrave majeure à la cohésion sociale au sein des états nationaux. Et si tel est le cas, ce n’est pas simplement du fait de la diversité en tant que telle mais plutôt du sens politique que certains lui ont conféré au cours de l’histoire. La couleur de la peau et l’apparence physique externe ont de tout le temps fait l’objet du fondement de l’explicatif ou tout du moins des tentatives d’explication d’une oppression politique dite discrimination raciale. Prenons exemple sur le Noir ! Une certaine exégèse de  la Bible veut que le Noir soit un être maudit parce que paraît-il le Patriarche Noé aurait maudit Cham et sa descendance, la race noire (Cf. Genèse 9: 21-27). S’agit-il ici d’un rajout ou d’une falsification de l’histoire ? Les critiques voient en ce passage de la Bible juive une tentative suprémaciste de trouver une explication théologique à la discrimination raciale contre les Noirs. Qui a lancé l’anathème contre la race noire ? Dieu ou Israël ? Le débat est ouvert !
S’il est difficile de prouver l’authenticité ou non de la malédiction de Cham, il est en revanche plus aisé d’établir la responsabilité de certaines institutions religieuses et de leurs élites dans le cycle chronique de l’esclavage des Noirs et de l’occupation coloniale de l’Afrique.
Ceci dit l’histoire et la politique peuvent-elles à elles seules expliquer la déshumanisation en un moment donné de l’homme noir ? La condition de servitude antérieure de la race noire a-t-elle engendré une catégorisation systémique de la conception du rôle de l’homme noir dans une société multiraciale ?
L’appartenance ethno-raciale est-elle décisive pour déterminer l’identité politique d’un individu ou d’un groupe social ? Peut-on reconsidérer le genre humain par delà les critères d’appartenance ethnique ou raciale ? Une société humaine multiethnique ou pluriraciale peut elle devenir post-ethnique ou post-raciale ? En d’autres termes peut-on ou doit-on déconstruire l’ethnicité et la racialité ? Y’aurait-il une incompatibilité socioculturelle prédéterminée entre les différents spécimens humains de sorte que l’on pourrait croire que le flux migratoire d’un groupe social vers un autre peut occasionner une perturbation dans l’organisation ou le fonctionnement l’écosystème sociopolitique de ce dernier ?

Abd El Kader Niang, politologue et essayiste.


Montag, 24. März 2014

Vers une nouvelle politique de défense et de sécurité pour le Sénégal (1ère Partie).

L’État du Sénégal se doit de repenser la politique de défense et de sécurité qui, jusqu’ici, a prévalu. L’environnement sécuritaire n’étant plus le même, vu l’apparition d’acteurs non-étatiques exerçant une violence armée transnationale (réseaux terroristes, groupes armés, mouvements séparatistes, bandes criminelles opérant en zones transfrontalières etc.) et constatant l’érosion du monopole de la contrainte physique légale dans certains pays de la sous-région ouest-africaine (Mali, Mauritanie, Guinée-Bissau etc.), il urge alors pour le Sénégal de redéfinir le paramètre et l’objectif des missions jusqu’ici dévouées à nos forces de sécurité et de défense.

Le schéma classique de la défense nationale tel qu’actuellement conçu veut que nos forces de défense et de sécurité ne se bornent qu’à assurer l’intégrité du territoire national et la protection des citoyens sénégalais à l’intérieur de nos frontières. La nature des dangers qui peuvent présentement constituer une menace réelle pour la sécurité du Sénégal et de ses citoyens exigent de l’État du Sénégal une politique sécuritaire beaucoup plus préventive et axée sur une stratégie de dissuasion adéquate. Pour ce faire le gouvernement devra d’une part mettre l’accent sur la coopération entre les différents services de l’État et sur la coordination entre l’armée, la police et la gendarmerie. D’autre part il s’agira pour le gouvernement d’augmenter la taille des effectifs en service dans les forces de sécurité et de défense. Il est en effet très risqué pour la sécurité intérieure du Sénégal que d’avoir une police et une gendarmerie qui fonctionnent en sous-effectif. Si l’actuel gouvernement est en mesure d’employer 3000 volontaires civils au sein de ce qui s’appelle « Agence Nationale d’Assistance à la Sécurité de Proximité », cela veut dire que ce même gouvernement est en réalité capable de recruter 3000 policiers ou gendarmes supplémentaires pour assurer la sécurité des citoyens en lieu et place de simples civils, dont le critère de recrutement semble être plus l’appartenance politique que l’aptitude professionnelle. Il n’est pas trop tard pour dissoudre cette milice et corriger cette forfaiture. On peut bel et bien lutter contre le chômage des jeunes sans pour autant trahir le principe abstrait de l’objectivité républicaine qui régit le fonctionnement de l’État du Sénégal. Une reconfiguration du génie militaire et une redéfinition de la mission des forces armées sénégalaises peuvent en effet aider le gouvernement à trouver des solutions efficaces pour régler le problème du chômage structurel des jeunes et le déficit de main-d’œuvre qualifiée dans certains domaines.
Je veux dire par là que le génie militaire peut à la fois servir de centre de formation professionnelle et d’entreprise de BTP avec des marchés publics et privés au Sénégal comme à l’étranger.

Le présent concept combiné à l’instauration du service militaire obligatoire pour tout citoyen sénégalais âgé de 18 ans avec un délai de conscription de 24 mois suivant la formation de base, peut dans le court et moyen terme rendre la jeunesse sénégalaise plus apte à relever le défi du développement économique et social. Ainsi aura-t-on d’une part une Armée pourvoyeuse d’emplois dans des secteurs aussi bien variés que les BTP, l’immobilier, les NTICS, le textile, l’agroalimentaire, les énergies, les transports etc. ; et d’autre part des militaires qui seront ouvriers en temps de paix et soldats en temps de guerre. Les forces armées seront intégrées dans le tissu socio-économique national et pourront de ce fait contribuer à l’envol économique du Sénégal. En plus des crédits publics accordés dans le cadre de la loi de finances, les forces armées auront une certaine autonomie financière qui servira à financer les retraites, les programmes de logements, les assurances et les prises en charge en cas d’invalidité.

La stratégie de défense nationale reposera sur une fusion intelligente entre le concept de conscription et celui d’armée de métier.

Le gouvernement prendra alors une mesure portant création d’au moins d’un lycée militaire dans chaque région du Sénégal. L’enseignement des sciences et techniques ainsi qu’une pratique intensive du sport occuperont une place importante dans le programme éducatif de ces établissements.

En conséquence à la création d’une quinzaine de lycées militaires, le gouvernement créera une demi-douzaine d’écoles supérieures polytechniques réparties sur toute l’étendue du territoire national pour absorber les meilleurs bacheliers aspirant à service dans les rangs de l’Armée en tant qu’ingénieurs ou techniciens supérieurs.  

Afin de garantir le caractère neutre et impartial des forces armées, les militaires et les paramilitaires seront privés de vote. En effet l’octroi du droit de vote aux membres des forces de sécurité et défense, peut mettre en danger le fonctionnement des forces armées aussi au niveau horizontal, qu’au niveau vertical. En d’autres termes il peut y avoir soit une friction entre les corps les plus proches du pouvoir politique (Gendarmerie Nationale, Garde Républicaine, Police Nationale etc.) et ceux qui le sont moins (Armée de Terre, Armée de l’air, Marine, Sapeurs-Pompiers etc.) ou soit une distorsion de la chaîne de commandement entre la haute hiérarchie et la troupe. 

Par delà la garantie des intérêts vitaux du Sénégal à savoir la défense de l’intégrité du territoire national, de l’indépendance et de la souveraineté internationale du Sénégal  et la protection des citoyens sénégalais, la nouvelle politique de défense et de sécurité du Sénégal prendra en compte l’aspect économique, culturel, commercial et écologique des intérêts du Sénégal (intérêts stratégiques).


Abd El Kader Niang
Diplômé en Sciences Politiques



Sonntag, 18. August 2013

Vers une redéfinition de la laïcité au Sénégal et une gestion républicaine de la chose religieuse


La constitution de la République du Sénégal veut dans sa théorie normative que le Sénégal soit un état laïc. Cependant une simple observation empirique objective de la pratique politique réelle, en termes de fonctionnement des institutions, suffit pour en déduire que le Sénégal est de facto un état religieux. En d’autres termes le caractère laïc de la République du Sénégal est putatif. L’idée même de laïcité en tant que forme d’organisation politique, à l’origine, ne découle pas de la volonté souveraine du Peuple Sénégalais, mais résulte plutôt du suivisme de l’élite politique et intellectuelle du Sénégal postcolonial immédiat, qui n’a pas su forger une loi fondamentale et un système de régulation normative à l’image de la société sénégalaise. Il a été simplement question de  plagier odieusement le modèle français et de l’appliquer à une société sénégalaise, qui malgré un siècle et demi d’occupation coloniale et de tentative d’aliénation culturelle a su préserver son identité religieuse. Nous avons été musulmans avant d’avoir été sénégalais, nous avons été croyants, avant d’avoir été citoyens. L’Islam est millénaire au Sénégal, alors que la République du Sénégal vient tout juste de célébrer le 53ième anniversaire de son accession à la souveraineté internationale.
Les élites politique et intellectuelle du Sénégal ne sont toujours pas parvenues, et ce après cinquante années de souveraineté internationale, à intégrer l’identité religieuse de l’écrasante majorité des citoyens sénégalais, en tant que donne sociologique réelle, dans le système de notre organisation sociopolitique. C'est-à-dire la chose religieuse a été toujours et continue encore de faire l’objet d’une gestion informelle. Ce qui entre autres explique le phénomène de mendicité des élèves en école coranique et la gestion ethno-tribale voire clanique de l’Islam au Sénégal.
La laïcité à laquelle la constitution sénégalaise fait allusion dans son premier article n’est rien d’autre que le pendant politique de l’athéisme, de l’anticléricalisme et de l’anti-religion. Ce concept de laïcité à la française nous est étranger. Et ce n’est pas la simple abstraction d’une fiction juridique qui fera de nous autres sénégalais des athées, des anticléricaux ou des ennemis de la religion. Il nous faut donc une redéfinition de la laïcité, laquelle prendra en compte nos réalités socioculturelles auxquelles nous référons. Il ne s’agit ici nullement de faire l’apologie d’un régime théocratique. Je rejette toute idée de fondation d’un régime théocratique au Sénégal.
Si laïcité veut dire  séparation entre l’État et la religion, que cette séparation soit alors purement fonctionnelle et non fondamentale. C'est-à-dire que cette séparation ne nie pas le fait  social réel que nous le Peuple Sénégalais sommes croyants en Dieu. Et de la même manière qu’il y a des institutions politiques qui ont pour vocation d’organiser la vie publique de la Nation, que l’on crée un organe institutionnel neutre et équidistant chargé d’organiser la gestion du culte. En d’autre termes la République du Sénégal devra être neutre (c'est-à-dire ni musulmane ni chrétienne) et à égale distance entre les différentes confréries dans le cadre de sa gestion des questions cultuelles.
L’architecture institutionnelle du Sénégal a plus que jamais besoin d’un secrétariat d’État au culte et d’un haut conseil du culte du musulman dans lequel toutes les confréries musulmanes du Sénégal seront représentées de manière paritaire. Le haut conseil du culte musulman convoquera à échéances régulière les états-généraux de l’Islam au Sénégal et aura pour mission principale d’harmoniser la pratique de l’Islam au Sénégal. Il servira aussi d’instance de dialogue entre les différentes confréries du Sénégal. Le secrétariat au culte quant à lui aura pour mission d’organiser la gestion administrative des affaires religieuses. Il sera compétent pour prélever des impôts destinés aux cultes, collecter des dons, organiser les fêtes religieuses (Tabaski, Korité, Tamkharit etc.) sur l’étendue du territoire national et financer de manière proportionnelle les cérémonies religieuses à caractère confrérique (Maouloud, Magal, Daka, commémoration de l’appel de Yoff etc.). Il sera doté d’un budget voté par le parlement pour subventionner la formation académique et théologique des imams, prêcheurs, muezzins et des oustazes, et financer la construction, l’entretien et la restauration des mosquées et autres édifices religieux.
Les imams, muezzins, prêcheurs et oustazes seront des agents contractuels de l’État du Sénégal et dans certains cas que la loi précisera, agents de la  fonction publique nationale.
L’ensemble des religieux constituera un clergé hétérogène certes mais qui sera placé sous l’autorité directe du haut conseil du culte musulman. L’État du Sénégal reconnaitra aux membres de ce clergé un statut juridique spécial qui soumettra ces derniers à une obligation de réserve en matière d’appartenance politique et une interdiction d’exercice aussi bien actif que passif du droit de vote.
Le ministère de l’éducation nationale garantira à chaque élève  musulman -si les parents ou le tuteur de ce dernier le désire- l’apprentissage du Saint Coran et de l’Islam et à chaque élève chrétien un cours de catéchisme, si les parents ou le tuteur de ce dernier le souhaite. Ainsi le Gouvernement de la République du Sénégal pourra-t-il avec l’introduction de l’enseignement religieux dans écoles, lycées et collèges combinée à l’obligation de scolarité jusqu’en classe de terminale éradiquer de manière effective le phénomène « talibé njaangan » et abolir le système des « daaras ». De ce fait l’Islam et le Saint Coran seront appris au Sénégal dans des conditions décentes et humaines. Les pouvoirs publics sénégalais pourront dans ce sillage faire construire une université islamique dans laquelle les étudiants en théologie aura accès non seulement à la science religieuse mais aussi aux autres branches de la science (droit, économie, sociologie etc.).
La religion fera ainsi l’objet d’une gestion républicaine, intellectuelle et humaniste.

Abd El Kader Niang
Analyste politique


Dienstag, 6. August 2013

Proposition de réforme de la Justice au Sénégal : Vers une indépendance de la justice sénégalaise.


Bonjour Me Tine et merci d’avoir bien voulu prendre part à cette interview.

Que vous inspire le fonctionnement de la justice au Sénégal ? N’avez-vous pas  l’impression que les citoyens sénégalais ne font plus confiance en leur justice ? Au vu des multiples scandales de corruption qui ont eu à secouer la justice sénégalaise de par le passé, référence est faite entre autres à l’affaire des CDS enregistrés et qui incriminaient Mme Aminata Mbaye avocate générale près la Cour de Cassation au moment des faits, n’urge-t-il pas d’entreprendre des réformes ?

Il est évident que toutes ces affaires ont fini par jeter une suspicion qui opiniâtrement sape plus ou moins la confiance des citoyens sénégalais en la justice de leur pays.

Cependant, je crois profondément que les justiciables sénégalais continuent malgré tout à faire confiance à la justice de leur pays.

Il n’en demeure pas moins qu’ils restent très soucieux de la force et de la solidité de l’institution.

Et c’est aux Pouvoirs Publics que reviennent la tâche de se montrer attentifs et de faire en sorte que des réformes de fond soient entreprises afin de renforcer de manière effective l’indépendance de la justice ; pour qu’elle soit elle-même en mesure d’apporter des solutions impartiales dans le traitement des affaires.

Est-ce que vous ne pensez pas qu’il faut dissoudre le Conseil Supérieur de la Magistrature, supprimer définitivement le Ministère de la Justice et procéder à l’élection au suffrage universel direct des juges et procureurs, pour avoir une justice indépendante au Sénégal ?

Non, je ne pense pas qu’il soit vraiment nécessaire de supprimer le Conseil Supérieur de la Magistrature. En revanche je suis plutôt partisan de sa réforme.
En tant qu’organe chargé par la Constitution d’assister le chef de l’Etat dans la fonction de garant de l’indépendance de l’autorité judicaire, il représente un rouage essentiel de l’Etat de droit.
Qu’en outre le Conseil a une autre mission qui est celle de la gestion de la carrière des magistrats.
Qu’enfin, il joue le rôle de gardien des gardiens des libertés puisque le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi par la dénonciation des faits motivant des poursuites disciplinaires contre un magistrat du siège ou du parquet que lui adresse le garde des Sceaux, ministre de la justice.
Personnellement, je pense que dans un souci de renforcement de l'Etat, il serait opportun de mener une réflexion profonde allant dans le sens d’une refondation de la justice au Sénégal.
Me concernant, j'estime que le moment est venu de (re)fonder la justice par un acte fort : en la sortant du gouvernement, pourquoi ne pas supprimer le ministère de la justice, en la confiant à une autorité constitutionnelle indépendante ?
En effet l’exécutif et législatif sont des pouvoirs de l’Etat, la justice quant à elle est un pouvoir de la société puisque la justice est rendu au nom du Peuple.

Si en effet, le gouvernement et le parlement coproduisent la politique du pays et adoptent les lois qui les traduisent, la justice quant à elle n’est pas une autorité de l’Etat chargée de faire passer cette politique dans et par les jugements.
La justice n’est donc ni une autorité d’application de la politique gouvernementale ni une autorité préfectorale parce qu’elle ne relève pas de la sphère étatique.
La justice en soi n’est pas un pouvoir étatique mais « un pouvoir de concert » au sens de Montesquieu, c'est-à-dire un pouvoir qui, par la reconnaissance mutuelle des droits favorise le travail de chacun, la coopération, et le renforcement du lien social.
Sorties, donc, du gouvernement, l'indépendance et l'impartialité de la justice devraient être confiées à une autorité constitutionnelle indépendante, le Conseil supérieur de la justice (CSJ) et non de la magistrature comme c’est le cas actuellement.
Et les citoyens ne peuvent croire en l'impartialité totale d'une justice qui participe et dépend d'un gouvernement partisan donc partial.
Il convient de rendre le Conseil supérieur de la magistrature totalement indépendant de l’exécutif. A cette fin, le Président de la République et le Ministre de la justice ne devraient plus siéger au CSM qui deviendra CSJ.
Celui-ci devrait être convoqué et présidé par des magistrats selon une réglementation nouvelle, comme c’est le cas dans un nombre croissant de pays africains.

Quant à l’élection des juges cela me paraît une piste qui mérite d’être explorée mais seulement pour les hauts magistrats comme les membres du Conseil constitutionnel ou de la Cour suprême.
Qu’en tout état de cause si les juges étaient élus, il faudra faire de sorte que leur travail en toute indépendance ne soit pas tributaire du contrôle du Peuple.
En effet, un des inconvénients de ce mode de désignation des juges est que l’élection les contraindrait à prendre une décision conforme aux aspirations du Peuple au nom duquel il rend au demeurant la justice.
Or, parfois aspirations du Peuple et la légalité normative peuvent ne pas coïncider.

A votre avis ne serait-il pas plus judicieux que d’opérer une séparation fonctionnelle entre juges et procureurs dès la période de formation au Centre de Formation Judiciaire ?

Pour des États comme le Sénégal qui ont peu de moyens, je pense que le tronc commun s'impose pour l'instant ne serait ce que pour réaliser des économies d’échelles.
Dans notre pays, il n'existe qu'une seule voie d’accès à la profession : l’École nationale de la magistrature (ENM).
Après quelques années d’expériences professionnelles, le magistrat peut également assumer des fonctions de haute responsabilité telles que vice-président et président de tribunal ou procureur de la République ou travailler dans une direction de l’administration centrale du ministère de la justice.
A mon sens, je crois que le problème n’est pas la formation initiale des magistrats qui est en cause mais plutôt celui du niveau d’indépendance dont ils pourraient bénéficier vis-à-vis de la Chancellerie.

Que pensez-vous des audits menés actuellement par la cour de répression de l’enrichissement illicite ?

La réalisation des audits constitue une bonne chose, cela procède d’un souci de bonne gouvernance et surtout d’instauration d’une culture de responsabilité qui fait peser sur toutes les personnes investies d’une charge publique une obligation de rendre compte.

A votre avis pourquoi le gouvernement fait-il recours à la cour de répression de  l’enrichissement illicite alors que les cours et tribunaux ordinaires connaissent des faits et délits reprochés à certaines éminences du parti démocratique sénégalais ?

Je suis de ceux qui pensent que le gouvernement n'avait pas besoin de procéder à la résurrection d'une institution d'exception pour juger les personnes mises en cause dans ces affaires.
Qu'à l'évidence, les juridictions ordinaires suffisent pour réprimer tous les actes susceptibles d'être relevés, qu’ils soient des actes de corruption, de détournement de deniers publics, de la prise illégale d'intérêt etc.

Que pensez-vous de cette Cour de répression de l’enrichissement illicite ? N’avez pas l’impression que cette juridiction est politisée par l’actuel pouvoir en place ?
Que pensez-vous de l’arrestation de Karim Wade ? Est-ce une chose conforme à la règle de droit ?

Ma conviction forte est que la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) est illégale et anti constitutionnelle, en sens ce qu'elle fonctionne selon une inversion des logiques.
En effet, il est de principe et de jurisprudence que c'est à l'autorité poursuivante c'est à dire l'accusation de rapporter les preuves qui accablent la personne qui est mise en cause.
Or, la CREI prévoit l'inversion de cette logique bien établie en demandant à la personne mise en cause d'apporter la preuve de son innocence et qu'à défaut elle est automatique réputée ou du moins suspecté être coupable des faits qui lui sont reprochés. Il s’agit là d’un étonnant raccourci judicaire.
Pourtant, depuis la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, toute personne est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit démontrée devant un tribunal impartial devant lequel elle aura la possibilité d’organiser et d’assurer sa défense.

Que pensez-vous de la requête introduite par les avocats de Karim Wade auprès de la cour de justice de la CEDEAO en vue de faire disqualifier la CREI pour défaut de compétence à juger l'affaire opposant Karim Wade, Ousmane Ngom, Oumar Sarr, Madické Niang, Samuel Sarr et Abdoulaye Baldé à l'Etat du Sénégal ?

Il est évident que la Cour n’est pas compétente pour apprécier l’opportunité des mesures internes prises dans le cadre d’une enquête judicaire au plan national.

En revanche, le Sénégal a tort de ne pas respecter l’autorité de l’arrêt qui était tout fait conforme à l’état du droit communautaire.

Une résistance abusive du Sénégal serait constitutive sans doute d’un acte illicite international donc de nature à engager sa responsabilité internationale ; Pacta sunt servanda (Les conventions doivent être respectées).

La Cour de justice de la CEDEAO s’est déclarée compétente pour juger l’affaire opposant l’État du Sénégal aux anciens ministres libéraux, qu’en pensez-vous ?

Il est heureux de constater que la juridiction communautaire avait dit le droit en cette affaire avec son premier arrêt.

N’avez-vous pas l’impression que l’on assiste plus à un lynchage politique fortement médiatisé qu’à une réelle volonté de dire le droit dans l’affaire Karim Wade ?

Comme disait Prosper Weil « Le droit, comme la guerre, n’est fréquemment que la continuation de la politique par d’autres moyens ».

Il n’est pas exclu dans ces affaires qu’il y ait une tentation « naturelle » à vouloir régler par la (même occasion) par la voie judiciaire un conflit qu’on n’a pas pu ou su régler par voie politique.
On se souvient que Macky Sall Président de l’Assemblée nationale à l’époque voulait auditionner Karim Wade et on connait la suite, ce sera le début de la brouille avec le père Abdoulaye Wade et son entourage.

Ceci étant, j’estime que Karim Wade, compte tenu de ses responsabilités antérieures devra forcément rendre compte de sa gestion, quoi de plus normal dans une démocratie.
S’il est suspecté d’avoir commis des infractions, on doit lui assurer la conduite d’un procès le plus impartial qui soit, le plus juste et le plus transparent afin qu’il n’ait aucune excuse devant le Tribunal de l’Histoire.

Par delà la question de compétence de la CREI à juger Karim Wade et Co. n’y-a-t-il pas une ingérence de la CEDEAO dans le fonctionnement interne de la justice sénégalaise, étant donné que la CEDEAO n’est qu’une simple organisation internationale et non une confédération encore moins une fédération ?

On saurait parler d'ingérence pour cette affaire car, une ingérence signifierait une immixtion sans titre. Or la CEDEAO possède un titre de compétence, le Sénégal en ratifiant le traité constitutif a accepté par là même occasion son autorité à dire le droit mais surtout à s’y conformer.
Et comme disait Jean Jacques Rousseau « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est aussi liberté ».

Venons-en à l’affaire Hissène Habré; Le Sénégal est-il compétent à juger l’ancien président tchadien exilé au Sénégal ?

Le 20 juillet 2012, la Cour internationale de Justice, dans l’affaire « Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal) » a statué que le Sénégal avait manqué à ses obligations découlant de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et a ordonné au Sénégal de poursuivre Habré « sans autre délai » à défaut de l’extrader.

En statuant ainsi la Haute juridiction mondiale a ainsi démontré par la même que le Sénégal détient en vertu du droit international (précisément de la convention internationale contre la Torture de 1984) un titre de compétence pour juger Hissène Habré.

Peut-il y avoir un procès juste et équitable dans l’affaire Hissène Habré alors que l’un de ses principaux collaborateurs d’alors, en l’occurrence Mr. Idriss Déby Itno, que certains soupçonne de coresponsabilité ou du moins de complicité dans les faits reprochés à Habré, est nullement inquiété ? N’est pas là deux poids deux mesures ?

Le caractère équitable du procès d'Habré ne dépendra pas de l'arrestation voire du jugement de tous ses co-accusés mais plutôt en la capacité de la juridiction à garantir l’exercice des droits de la défense de l’accusé.

Qu’en tout état de cause, il faut se dire qu'il arrivera un jour où toutes les personnes impliquées dans ces cas de violations graves des droits de l’Homme vont devoir rendre des comptes, si l’on sait bien que tous ces crimes sont imprescriptibles et donc passibles de poursuite au plan universel et à tout moment.

C’est dire que le temps qui passe ne change en rien sur la possibilité pour ces personnes de se voir traduites devant un Tribunal. L’affaire Habré nous le confirme, 23 ans après, Habré qui s'apprête enfin à faire face à ses juges.

Beaucoup d’intellectuels africains ont eu une certaine méfiance à l’égard de la justice pénale internationale ; ils pensent que la justice pénale onusienne est sélective et que les juridictions  pénales du système onusien ne sont des instruments qui servent à traquer les anciens chefs d’État africains ? Qu’en pensez-vous ?

Il s’agit d’une méfiance qui est parfois justifié mais qui ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel, à savoir la nécessité impérative de lutter contre l’impunité particulièrement en Afrique.

En effet, à chaque fois que la Cour pénale internationale se reconnaîtra compétente c’est que primo un ou plusieurs des crimes internationaux prévus à son statut (crime de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et les crimes d'agression) ont été commis ; secundo que l’Etat qui devait normalement les juger n’a pas fait ce qu’il était en devoir de faire ou en tout cas n’est pas en mesure de le faire.

Et quoi qu’il en soit, n’oublions jamais que la double finalité qui est recherchée est de dissuader la répétition de la commission de tels crimes à l’avenir d’une part mais aussi et surtout de faire justice aux victimes d’autre part.
Le fait que toutes les personnes qui mériteraient sans doute d’être attraites devant la CPI ne le soient pas pour l’instant, ne doit pas justifier le fait de vouloir jeter l’opprobre et l’anathème sur une institution dont sa seule raison d’être est de vouloir moraliser la société internationale.

Et pour parfaite information, l’Afrique est le continent le plus représenté au niveau de l’Assemblée des parties du Statut de Rome qui institue la CPI, 34 pays africains sont ainsi membres de cette Cour.
C’est dire que le vrai combat et le seul qui doit être mené est celui de la démocratisation des relations internationales notamment l’abolition du droit de veto ainsi que l’élargissement du Conseil de sécurité à l’Afrique, pour enfin en finir avec le traitement des "deux poids deux mesures" qui conduit à une activation à géométrie variable du système judicaire international selon les circonstances et les acteurs en cause.

Le maire d’une commune d’arrondissement de Dakar, en l’occurrence Mr Barthélémy Dias, qui ouvre le feu en plein jour sur une foule, reconnaît haut et fort avoir tué un des ses assaillants et se retrouve à l’Assemblée Nationale comme honorable député du peuple bénéficiant en conséquence du privilège de l’immunité parlementaire après un bref passage dans les liens de la prévention, qu’est ce que cela vous inspire ?

Si la question venait à se poser, je crois que Monsieur Dias devra de lui même renoncer à son immunité pour aller au besoin s'expliquer, il en va de sa crédibilité et de son avenir politique.

Que pensez-vous de l’affaire Cheikh Béthio Thioune ?

Il s'agit d'une affaire déplorable mais puisque la justice est entrain de l’instruire, on se doit de laisser la suite de la procédure le soin de nous édifier.

Vous êtes l’avocat du collectif des victimes de la répression des manifestations du 23 et du 27 juin 2011, où en êtes-vous avec les procédures visant la prise en charge des frais médicaux des victimes par l’État du Sénégal ? L’État du Sénégal saura-t-il répondre des faits qui lui sont reprochés devant un tribunal sénégalais aussi bien au civil qu’au pénal ?

Le ministre sénégalais de la Justice vient d’annoncer l’indemnisation de toutes les familles des victimes des violences pré-électorales, je ne peux que saluer une mesure de cette nature d’autant plus qu’elle fait progresser les droits de l’homme au Sénégal.
En indemnisant les victimes des violences préélectorales, notre pays tient ses engagements internationaux qui sont le droit à la réparation de toutes ces victimes de violations graves des droits de l’Homme.
Au plan pénal : l’instruction est en cours. Dans le cas d’Ousseynou Seck, le Tribunal a condamné une personne à deux ans de prison ferme.
Pour le cas de Mamadou Diop, l’instruction est encore en cours et les deux conducteurs du Dragon ont été placés sous mandat de dépôt.
Les victimes de Podor et leurs familles ont été convoquées en juin dernier, et entendues par le Doyen des juges.
Cela veut dire que certaines procédures avancent. Concernant les autres dossiers, il y a eu des mandats de dépôt et des enquêtes sont menées.
Donc c’est une avancée. Ça change nettement par rapport à ce qui se passait sous l’ancien régime par exemple avec le meurtre de Lopy, de Balla Gaye, etc.
La population était arrivée même à penser qu’on ne pouvait pas porter plainte ou inquiéter tout simplement les forces de sécurité lorsqu’il y a des bavures.
 Or, nul n’est au dessus de la Loi. La Loi qui ne peut ordonner le meurtre ou la soumission à des traitements inhumains. Ce sont là des avancées.
D’autre part, il y a des dossiers qui n’ont pas connu de développement depuis le dépôt des plaintes et ceci malgré nos relances nombreuses afin que des mis en cause soient entendus.
Un autre regret, c’est qu’il y a des cas où des mis en cause ne sont même pas entendus.
Par exemple, à part le commandant Madior Cissé, la plupart sont des exécutants qui sont visés par les procédures et mis sous mandat de dépôt.
Or, tout le monde sait qu’ils n’auraient jamais agi de la sorte s’ils n’avaient pas reçu d’ordres qui impliquent une hiérarchie qui reste non inquiétée jusqu’à présent.
Nous sommes en train de nous interroger sur ce point et de réfléchir sur une alternative dans le cas où les autorités sénégalaises, pour une raison ou pour une autre, seraient tentées d’occulter cette partie de la procédure.

Le magistrat Ousmane Diagne débarqué de son poste de procureur de la République, qu’en pensez-vous ?

Tout dépend des raisons pour lesquelles il a été changé. Si c'est juste en raison d’une simple mésentente avec le Ministre de la justice, je dirai que c'est plus que regrettable.
Si c'est au contraire comme le soutient le Ministre que c’est pour les nécessités du service ça se comprendrait aisément.
Quoi qu'il en soit, j'estime personnellement que Monsieur Diagne fait partie de cette génération de magistrats qui a su faire preuve de courage de par ses positions sur certains dossiers comme ceux des victimes des violences électorales de 2012.


Merci Me Tine d’avoir pris part à cette interview de Protubérances Magazine.