Sonntag, 9. September 2012

Pourquoi y-a-t-il tant d'échecs au niveau de l'immigration africaine en occident?


Protubérances 
Nr. Edition: Pro/ 04 09 09 2012 
Intitulé/Thème : Pourquoi y-a-t-il tant d’échecs au niveau de l’immigration africaine en Occident ?
Invité: Pape Armand Boye, auteur-compositeur, artiste-musicien, essayiste.

BIOGRAPHIE :
Pape Armand Boye est un musicien - producteur  sénégalais qui vit aux Etats Unis à New York. Membre fondateur du groupe Tama de Rufisque, il quitte le Sénégal durant les années 90 et  s'installe en Allemagne. Après des années de collaboration et de tournées un peu partout  en Europe, il s installe aux Etats Unis à New York.



1. Mr. Boye que vous inspire toute cette vague d'immigrés qui quittent l'Afrique, ou plus précisément leurs pays d’origine pour venir s'installer en Europe ou en Amérique?

Le mouvement est inscrit dans l’Univers. Tout bouge, rien n’est figé, pas même ce que nos yeux perçoivent comme « figé ».
Les peuples ont toujours bougé et même les animaux émigrent naturellement.
Les Africains émigrent pour des raisons différentes.
La première raison, pour laquelle les Occidentaux ont tendance à nous montrer du doigt, c’est l’aspect économique de l’immigration. Mais il y a des milliers, sinon des millions, de raisons autres qui poussent les jeunes Africains à émigrer.
Derrière l’économie se cachent d’autres raisons souvent occultées par le fait que la quête humaine de l’Afrique est réduite à une dimension simplement matérielle. Alors que le sens africain est beaucoup plus profond et large que la quête matérielle.
Quant à ce que cela m’inspire, je ne vois pas de mal à voyager et à aller vers d’autres cieux, ce sont plutôt les conséquences qui sont inquiétantes: fuite des cerveaux, déstabilisation familiale et sociale, problèmes psychologiques et sociologiques, intégration des générations issues de ces mouvements migratoires etc.…


2. Est-ce-que l'immigration africaine sous sa forme actuelle est une solution aux problèmes de l'Afrique?

C’est une question difficile.  Il faut diagnostiquer un mal pour trouver un remède.
Les problèmes de l’Afrique sont nombreux. L’immigration seule n’est pas une solution, même si les immigrés contribuent beaucoup à la vie de leurs familles restées au pays.
J’ai l’habitude de dire à mes amis en plaisantant, nous immigrés nous sommes un peu des sortes de « couverture sociale » pour nos familles. De ce fait nous avons tendance à faire plus que le gouvernement du pays d’origine. C’est une contribution instantanée qu'il ne faut pas négliger, mais elle n’est en aucun cas une solution durable.

3. Pourquoi y-a-t-il tant d'échecs au niveau de l'immigration africaine en occident? Est-ce des échecs individuels ou plutôt des échecs systémiques?

Il y a plusieurs facteurs.  Je ne suis pas un spécialiste en la  matière mais, par rapport à mon expérience, c’est que d’abord nous n’y sommes pas préparés.
Nous atterrissons ou amerrissons en Europe, avec beaucoup d’illusions sur un continent riche et où il fait bon de vivre. La désillusion est énorme et les dégâts psychologiques énormes.
Si le but est de chercher de l’argent, nous passons à côté de choses merveilleuses sans nous en rendre compte. 
Si le but est d’acquérir autre chose, qui ne relève pas du matériel, la famille ne nous pardonne pas souvent de ne pas revenir en jet privé.
Plus le fait qu’en réalité celui qui est envoyé par la famille n’est pas forcément l’élu mais le sacrifié.
L’immigré est seul en face de tout et de tous, c’est déprimant. Un immigré souvent est un héros qui a sacrifié sa vie pour sa famille.
Plus le fait que si on pouvait rentrer tranquillement en Afrique si l’aventure ne marche pas… Mais non, l’Afrique est un continent où tout est basé sur un honneur collectif dévastateur au détriment de la vie ou de l’honneur personnel de l’émigré.
L’échec systémique, c’est que l’Europe est une machine à broyer les Africains. Rien d’autre.
Et l’Afrique aide à broyer ses enfants par un système d’exploitation de l’immigré, qui est odieux. 
J’assume mes mots. Mais il ne faut pas oublier aussi les quelques réussites que l’effort et l’abnégation ont crée.

 4. Faut-il un nouveau type d'immigration pour les Africains? Faut-il un nouveau profil de l’immigré africain?

Il faut d’abord relever le fait que presque tous les peuples émigrent. Les allemands, les italiens, les péruviens, les chinois, tout le monde quitte son pays pour aller ailleurs.
Alors pourquoi se focaliser sur l’émigration africaine ?
N’oublions pas que la déstabilisation géographique, géopolitique, psychologique et la violence des agressions du passé ont fait de nous des « refugiés » …
Oui l’Africain est un refugié qui porte la mémoire de ses ancêtres.
Nous fuyons toujours la violence des combats du passé et leurs dégâts collatéraux.
D’aucun me diront que c’est du passé, certes mais, y-a-t-il un peuple sur terre, dont le passé ne façonne absolument pas le présent?
La tragédie nazie c’était en 1945, l’indépendance de beaucoup de pays africains c’est entre 1960 et 1990. Et pourtant, certains relèguent la tragédie africaine déjà dans la passé.
Le profil nouveau de l’émigré africain en Occident gagnerait beaucoup à ce qu’on arrête, de le mépriser lui et son histoire.

 5. A votre avis est ce qu'il y a, au moment où je vous parle, une alternative à l'immigration pour les Africains?

Il devrait y au moins avoir une alternative au retour catastrophique que beaucoup de nos compatriotes vivent. Mais je crois personnellement que l’alternative c’est de créer des emplois au niveau des pays de départ.
S’il y a un projet de société, où la justice, l’équité, le droit à un logement, le respect de la dignité de l’individu, une couverture médicale sont assurés à nos concitoyens aucun d’eux ne quittera son pays.
Les Africains aiment vivre chez eux, ils ne demandent qu’à avoir accès à un minimum. Toute autre idée, pourrait se révéler être de l’utopie et de la démagogie politicienne.

 6. Au cours d'une discussion que vous et moi avons eue  sur skype, vous faisiez la différence d'entre être Noir Africain en Europe et être Noir Africain en Amérique, en quoi consiste cette différence?

En Europe des siècles de colonisation et de propagande médiatique ont crée un hologramme négatif et complètement hallucinant du noir.
Quoi que vous puissiez faire ou dire, le type en face de vous a un hologramme programmé dans sa tête. Et c’est dur de se battre contre un hologramme.
Aux Etats Unis par contre, les noirs se sont battus contre le racisme, la ségrégation et ont réussi quelque part à démontrer que l’idée de la suprématie d’un peuple sur un autre est une aberration. Même si le combat n’est pas fini.
Quand on est africain aux Etats-Unis, on peut bénéficier de cette image plus positive du noir.

 7. Que pensez-vous de l'immigration clandestine? Que pensez-vous de l'immigration dite "choisie" et de la fuite des cerveaux?

L’immigration clandestine est une situation très dure à tous les niveaux.
Hormis la perte de temps  pour l’immigré, l’angoisse et l’incertitude même  sont  les socles de cette situation désastreuse.
Personnellement, je crois que c est une erreur de vivre dans la clandestinité.
C est moralement aussi inacceptable.
Au nom de la dignité humaine personne ne devrait être amené à  vivre dans la clandestinité.
Par contre beaucoup d’émigrés sont honteusement exploités, par des patrons véreux qui savent que ces derniers n’ont pas de papiers et ils en profitent bien, en leur payant des salaires de misère.
Ils sont sans droits et n attirent l’attention de personne.
La clandestinité, ce n’est pas glamour. Ce n’est pas un thème vendable.
L’immigration choisie elle, me rappelle curieusement les théories darwiniennes de la sélection naturelle où les plus « faibles » doivent laisser la place aux plus « forts ». Je suis complètement en désaccord avec ce schéma sélectif des individus basé sur leur éducation ou leur statut.
Je pencherai pour un échange, qu’ils nous donnent leurs « cerveaux » et qu'ils prennent nos « cerveaux »  (Rires) Ce serait équitable.
Maintenant c’est à nous de choisir.
C’est complètement faux de penser que l’Afrique n’a rien à offrir à ses « cerveaux ».  Les médecins, les professeurs, les ingénieurs font leur vie et se réalisent parfaitement. L’idée d’un Occident parfait pour les intellectuels et les savants est un mythe.
Faut-il occuper sa vie à la recherche de l’éphémère, lorsque l’éternité des générations à venir nous interpelle?
Faut-il aller enseigner à Yale ou Oxford quand tout est à refaire en Afrique?
J’ai vu des docteurs pakistanais et des ingénieurs irakiens devenir chauffeur de taxi à New York, alors qu’ils ont des étudiants qui les attendent au Pakistan et en Irak. Je tiens cependant à préciser que ceci est une vision intellectuelle et non pas un jugement sur les personnes et leur choix.
Moi je ne suis pas un cerveau, mais je crois que  je repartirai afin que d’autres jeunes puissent bénéficier de mon expérience accumulée durant mon odyssée.

 8. De l'avis de Mr. Sarkozy "l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire", comment appréciez-vous les propos de Sarkozy? Selon vous quel est le rôle de l'homme noir dans l'histoire de la race humaine?

J’ai été très surpris, par le discours de Dakar. C’est une polémique niveau caniveau et je ne perds pas du temps sur ces histoires. J’ai été d’ailleurs surpris de voir autant d’intellectuels sénégalais se liguer pour lui répondre. On prête à l’ancien président Wade, le fait d avoir dit après le discours en guise de réponse: « Son nègre l’a trompé »
Monsieur Sarkozy n’est pas un intellectuel, alors forcement ces pensées idéologiques ne sont pas de son ressort. Et d’abord de quelle histoire s’agit-il? L’histoire de l’humanité? Ou celle de la France? Ou de celle des Africains? Ou l’histoire tout court, qui donne raison aux agresseurs et invalide la thèse des agressés? Comment quelqu'un de sensé peut-il penser que les Etats-Unis sont entrés dans l’histoire plus que la Hongrie ou la Hongrie plus que le Venezuela?
L’Histoire s’écrit et tout ce qui s’écrit s’interprète.
Donc à chacun ses interprétations philosophiques, religieuses, ou même racistes. Mon interprétation à moi est que l’Homme noir est entré dans l’Histoire de l’Humanité par la grande porte à tous les niveaux.
Nous avons beaucoup donné à l’Europe, au monde arabe et aux Amériques etc.…
Je dois aussi dire qu’à chaque époque de l’histoire, il y a eu des actes, et des pensées pour dégrader l’image de l’homme noir. Sarkozy a juste repris des vieux thèmes qui font de l’Afrique une sorte de tabula rasa où tout est vide, figé pour l'éternité.
Nous sommes entrés dans l’histoire au point qu’ils ont eu besoin de notre continent durant des siècles pour exister. Qu’est ce que la France faisait en Afrique pendant tout ce temps ?

9. Quelle est selon vous la part de responsabilité de la faillite des élites africaines dans cet exode global des Africains?

La part de responsabilité des élites dans ce problème, c’est que les élites ont déjà quitté l’Afrique, elles-mêmes ont émigré ailleurs, victimes des abus de ceux qui se disent “élites“ aujourd’hui. (Rires)
Plus sérieusement encore, il faut des moyens de retenir les candidats à l’émigration. Aux politiciens de trouver des solutions.
La fuite des cerveaux est spécifique à chaque région de l’Afrique. Dans certaines zones où les tyrans et dictateurs de tout acabit règnent, les cerveaux sont les médecins, les instituteurs, les journalistes qui sont souvent des dissidents, les remparts contre la dictature. Quand ils fuient le régime, ils sont remplacés par des pseudo-cerveaux qui servent la dictature.
Dans d’autres pays sans dictature politique, comme le Sénégal, la dictature vient des familles pour qui revenir sans l’or de Fort Knox ou la fortune de Bill Gates est une honte. Ce qui fait que nos élites lorsqu’elles quittent l’Afrique, elles deviennent par la force des choses des commerçants improvisés, oubliant que « seul l’esprit s’il souffle sur la glaise peut créer l’homme » comme disait Antoine de Saint-Exupéry.

10. L'isolement des Africains en Occident, c'est dans les deux sens, me disiez-vous un jour, que voulez-vous dire par là?

Ben simplement par le fait que nous nous regardons en chiens de faïence. Eux ils nous isolent et nous nous isolons par l’acceptation de cet isolement. Il faut faire face et ne pas avoir le profil inné de la victime. L’ignorance de l’autre se reflète dans le miroir que nous leur tendons parfois. Il est temps que les Africains se voient avec leurs propres yeux, même si cela semble impossible pour l’instant.
A l’école, il faut revoir ce que nous enseignons à nos enfants, les mots ayant une résonance particulière dans la tête d’un enfant. Au mot « colonisation » par exemple, je préfère le mot « occupation ». 
Cette histoire de l’Afrique ou des blancs puissants venus conquérir nos terres doit être effacé de la mémoire collective.  Nous devons nous focaliser sur des termes comme « agresseurs » et « agressés », avoir un devoir de mémoire sans tyrannie ni rancune.
Les vainqueurs c’est nous pas eux. L’indépendance nous l’avons payé chèrement au prix du sang et de la misère. Et nous continuons à la payer durement. Mais des historiens spécialistes doivent se pencher sur ça, moi je ne suis qu’un musicien.


Montag, 3. September 2012

Diplomatie : Ces étrangers qui travaillent dans les Représentations diplomatiques sénégalaises dans les pays hôtes.



Dans plusieurs Missions diplomatiques sénégalaises accréditées à l’étranger, le personnel local est constitué de citoyens étrangers. On  y trouve la plupart du temps des français qui n’ont rien de commun avec le Sénégal.
Beaucoup de nos Ambassadeurs refusent de recruter des sénégalais pour des raisons inconnues. Pourtant la compétence ne manque pas.
Ces sénégalais établis pendant des années à l’étranger, ont fait leurs études dans les pays hôtes et souvent ils connaissent le pays d’accueil mieux que nos diplomates. Ils peuvent apporter leur expertise à nos diplomates, pour une diplomatie plus effective et efficace.
D’après des recherches menées, on trouve des étrangers dans les Ambassades sénégalaises en Italie, Espagne ou Allemagne pour ne citer que cela. Souvent ils sont les assistants directs des Ambassadeurs. Un poste d’ailleurs qu’aucun étranger ne devrait occuper parce que beaucoup de dossiers passent par les mains des assistants. Il ne s’agit  ici nullement de discriminer le personnel non-sénégalais en service dans nos Ambassades et Consulats, mais la priorité doit être accordée aux sénégalais d’abord, car ce sont eux dont les parents payent les impôts au Sénégal. Pourtant c’est la politique de privilège des nationaux qui s’applique dans les Ambassades de France à l’étranger. La France ne recrute que ses propres citoyens établis à l’étranger dans les Ambassades française à l’exception de quelques postes comme domestique ou gardiens.
Dans beaucoup de pays comme par exemple les pays membres de l’Union Européenne, les nationaux sont prioritaires au  recrutement,. Pourquoi donc recruter des étrangers à la place des sénégalais dans nos Ambassades ?
Le statut de diplomate s’applique en principe aux agents de droit public de l’État sénégalais, conformément à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961, et à la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963.
On entend par personnel contractuel, le personnel recruté sur place.  Donc ces personnes ne bénéficient pas du statut de membre du personnel de la mission, tel que défini dans l’article 1 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Elles ne bénéficient aussi d’aucune immunité diplomatique contrairement aux agents diplomatiques envoyés par leur Ministère des Affaires étrangères.
Pour rappel et selon les estimations du Ministère des Affaires étrangères, le Sénégal dispose plus de 59 Ambassades dans le monde. Et la plupart de ces Ambassades ne servent souvent à rien, parce que le personnel qui y est accrédité est souvent incompétent ou ne représente pas dignement le Sénégal. Rationaliser le fonctionnement des Ambassades est une chose, réduire les effectifs de façon inconsidérée en est une autre.
Pourquoi ne pas faire à la manière du Foreign Office c'est-à-dire à la façon de la Grande Bretagne ? Cette dernière a, en effet, par souci d’économie, embauché de nombreux employés, et ses citoyens vivant au pays d’accueil permettant de juguler les dépenses des Ambassades et des consulats sans que la qualité du service n’en souffre. Cela permet de réduire les charges liées au fonctionnement en évitant au trésor public sénégalais les coûts exorbitants  que peuvent engendrer l’accréditation d’un diplomate de carrière dans une Ambassade, et ce, sans que la qualité du service en pâtisse, le personnel local connaissant mieux le terrain, la langue et les usages du pays.
En ce qui concerne le personnel de l’Ambassade : un effort particulier doit être entrepris pour la gestion du personnel. Une fois affecté, l’Ambassadeur doit subir régulièrement des contrôles. On doit s’assurer de la constante adéquation entre ses qualifications et le poste qu’il occupe (connaissance de la langue, compétences et connaissances adaptées…) ainsi que de la réalisation des objectifs fixés.
Les recommandations d’une diplomatie efficace et rentable :
1.      Diminution des coûts en envoyant peu de diplomates et recruter plus de sénégalais compétents dans les pays d’accueil, donc insister sur le personnel contractuel sénégalais sur place.

2.      Adopter une attitude stratégique de la diplomatie en privilégiant la qualité et non la quantité. Il faut des implantations stratégiques et efficaces et mettre fin au mythe de la représentation sénégalaise aux quatre coins du monde. Le rayonnement du Sénégal c’est bien, l’efficacité c’est mieux.

3.      Rationalisation : mettre un terme au système de doublons et procéder à une vaste entreprise de regroupement et de communication en mettant fin, du même coup, à cet éternel cloisonnement des services.

4.      Cohérence : coller au plus près aux réalités du terrain en tenant compte des spécificités du pays et des besoins du Sénégal dans ledit pays. Adapter les effectifs des réseaux diplomatiques du Ministère des Affaires étrangères et ses objectifs en fonction de la zone géographique, de la politique extérieure et du développement économique. Et offrir une politique d’ensemble solide et viable par souci de clarté.

5.      Modernisation : Ne pas offrir une diplomatie à la politique obsolète mais au contraire créer une diplomatie qui vive avec son temps. Un travail sur l’image et le recrutement etc.…


Montag, 27. August 2012

L'homme africain en Europe: Incompréhensions socioculturelles et parallélismes.

 Né le 15 août 1969 à Kinshasa, en République Démocratique du Congo, Patrick Kitenge, fils d’un diplomate congolais, fera ses études primaires et humanitaires alternativement en Belgique (à Liège et à Bruxelles) et en RDC (à Kinshasa et à Lubumbashi). Après avoir commencé des études en médecine à l’Université de Humboldt de Berlin-Est, il changera ensuite de faculté pour se lancer en sciences politiques et devenir un jour lui-même diplomate.
Actuellement il rédige sa thèse de doctorat sur le thème suivant : «Chances et obstacles à la démocratisation en République Démocratique du Congo» sous la direction du Professeur Jacobeit de l’Université de Hambourg, professeur de Sciences Politiques de renommée internationale.

Bonjour Mr. Kitenge, je vous remercie d’avoir bien voulu prendre part à cette émission. Nous avions eu une discussion en prélude à cette édition, et je me souviens, vous faisiez la différence d’entre être noir et être africain. Que signifie pour vous être noir? Et que comprenez-vous par être africain?

On construit en général son identité en se comparant ou en se démarquant des autres. Quand on a une peau noire et que l´on vit en Afrique centrale, comme par exemple au Congo, on ne se pose pas vraiment la question de savoir, c´est que cela signifie d´être noir, car on vit dans une majorité noire. Être noir, alors, est une identité qui m´est devenue consciente quand je me suis rendu en Europe. J´ai alors remarqué que la couleur noire de ma peau se démarquait de la majorité blanche et que les regards de cette majorité en mon égard était très ambivalent. Donc, je faisais partie d´une minorité visible. L´avantage d´appartenir à une minorité est que l´on fait partie du groupe qui fait avancer une société, qui la rend politiquement plus moderne, plus ouverte et culturellement plus créative, notamment dans la musique et les trends de la mode. Vous pourrez constater que les pays qui prennent plus en compte leurs minorités, ce sont les pays du monde les plus stables politiquement et les plus équitables socialement. Comme au Canada ou dans les pays scandinaves entre autres.
L´inconvénient de la “visibilité“ de ma minorité est qu´elle est bien sûr plus exposée à des attaques injustifiées de la majorité. Un blanc français en Allemagne de l´est fait partie d´une minorité. Mais il ne subira pas les mêmes discriminations qu´un noir français.
Donc, être noir pour moi, c´est appartenir à une minorité visible, très créative culturellement et sensible à toute forme de discriminations.

Être africain, c´est ma première identité. J´ai toujours été africain et je le serai toujours, mais « noir », je le suis devenu. Même si je vis déjà longtemps en Europe, l´Afrique reste le continent de mes racines, de mes aspirations. Être africain, c´est faire partie d´une entité socioculturelle qui revendique à juste titre d´être le berceau de l´humanité, mais qui aux aléas de l´histoire a beaucoup perdu de son identité initiale. Être africain pour moi, c´est être conscient de l´histoire de ce continent, dans son passé meurtri par la traite des esclaves et l’humiliation de la colonisation. Et que l´on doit de surcroît en tant qu´africain mettre son savoir dans le redressement de notre continent.

Ne pensez-vous pas qu’il y a entre nous autres les noirs africains et les sociétés européennes une incompatibilité socioculturelle?

Je ne le pense pas vraiment. Bien sûr qu´il y a des divergences culturelles qui peuvent rendre une cohabitation sociale un peu tendue. Mais l´ Europe et l´Afrique se connaissent maintenant depuis certains siècles et on s´est culturellement très rapproché l´un de l´autre. Le nombre grimpant de mariages mixtes en Europe le démontre.
Les obstacles d´ordre religieux ont aussi été surmontés, d´autant plus que l´Islam par exemple, qui est pratiqué dans la plupart des pays africains subsahariens, est très tolérant envers les femmes et leurs droits. Je connais personnellement beaucoup de togolais, de guinéens musulmans mariés à des allemandes et leur couple fonctionne sans problèmes.



Que pensez-vous du débat sur l’intégration des immigrés en Europe généralement et plus particulièrement ici en Allemagne?

Le débat sur l´ intégration des immigrés en Europe a très peu évolué et en Allemagne, on parle d´intégration que lorsque Thilo Sarrazin sort un livre. Et je le déplore beaucoup, parce que les partis de droite au programme populiste envers les étrangers ou les musulmans montent au créneau. Il a déjà des lois très restrictives contre les étrangers par exemple aux Pays-Bas, au Danemark, parce que leurs gouvernements étaient ou sont dirigés par des partis de droite qui font des coalitions avec des partis d´extrême droite. En Allemagne, dans certains « Länder », on doit passer maintenant des tests pour acquérir la nationalité allemande.
Le débat sur l´intégration en Allemagne n´a vraiment jamais encerclé le noyau du problème : le manque d´intégration des immigrés n´est pas fondé a priori socioculturellement, mais tout simplement économiquement.
Il y a un exemple assez simple, c´est quand on compare les iraniens et les turcs. Tous deux musulmans, peu importe sunnite ou bien chiite, mais les iraniens se sont beaucoup mieux intégrés en Allemagne que les turcs. Pourquoi ? Parce que la grande partie des exilés iraniens fuyant le régime de l´Ayatollah Khomeiny et se réfugiant en Allemagne, faisait partie d´une élite riche et très bien instruite. Alors les parents de ces enfants riches et bien éduqués vivent dans des meilleurs quartiers, encouragent leurs progénitures aussi à s´éduquer pour rester en haut de l´échelle sociale, etc. Les turcs par contre qui ont été embauchés dans les années 70 pour donner un coup de pouce à l´économie allemande, provenaient d´une couche sociale moins lettrée, moins éduquée et de plus n´a pas été aidée par le pays accueillant pour surmonter les barrières sociales. On les a mis dans des quartiers défavorisés et créé ainsi des ghettos. On n´a pas pensé à éduquer leurs enfants et donc contribuer à leur montée sociale. Le débat sur l´intégration en Allemagne tourne en général sur la recommandation impérative aux étrangers d´apprendre l´allemand. Ce qui est juste, mais ce n´est pas tout. L´intégration n´est pas seulement l´apprentissage de la langue, c´est beaucoup plus profond que cela. C´est d´abord d´avoir le sentiment d´être le bienvenu et accepté dans cette société. C´est avoir un travail qui vous donne une certaine reconnaissance sociale au sein de la société. Et là, on n´est encore très loin de cela.

Selon vous, est-il possible de parler d’intégration au vu de tous ces problèmes liés à la diversité culturelle entre les peuples et le contentieux politique non soldé entre certains de ces peuples?

A priori une diversité culturelle n´emmène pas forcément des conflits. Elle peut être enrichissante et épanouissante pour une société. Je pense que l´on ne peut parler que d´intégration et non d´assimilation comme on l´a entendu dans certains débats politiques en France. Mais, une société multiculturelle doit trouver un modus vivendi pour surmonter ces problèmes et devenir une société interculturelle, donc pas une société où les culturelles différentes vivent simplement les unes à côté des autres, sans pour rien connaître l´une de l´autre, mais qu´il y ait une réelle interaction entre elles.

Que vous inspire l’existence de microsociétés issues de l’immigration qui vivent en parallèle à la main stream society si j’ose l’appeler ainsi ? Est-ce un isolement délibéré de la part de ces immigrés eux-mêmes ou est-ce plutôt une exclusion subie de la part de la main stream ? Ou est-ce peut-être les deux à la fois?

Je pense qu´il y a des deux. J´en ai déjà parlé ci-haut. D´un côté, cette exclusion est  voulue. En Allemagne et même en France, il y avait des quartiers réservés aux étrangers. Les banlieues parisiennes sont ces « ghettos urbains » dans lesquels la migration travailleuse issue du Maghreb avait été parquée. Et les résultats, on les connait aujourd´hui.
Mais, d´un autre côté, les étrangers acceptent ce fait d´exclusion et organisent leur « petit monde » dans un autre monde. Alors, on reste entre nous, on se marie entre nous et on s´éloigne peu à peu de la société de l´où on vit.

Vous parlez d’incompréhension socioculturelle, une incompréhension peut-elle à elle seule expliquer tous ces problèmes liés à l’intégration? N’y-a-t-il pas selon vous, de part et d’autre de la société, une dose de refus volontaire de l’autre?

Ah, mais bien sûr, et ce refus volontaire de l´autre est basé sur l´incompréhension. Mais l´incompréhension doit être surmontée par la tolérance. Mais, il y a des limites. Par exemple, je ne comprends pas pourquoi certains parents musulmans n´envoient pas leurs filles faire de la natation ou le sport avec d´autres enfants. Mais je dois être tolérant et accepter que ces parents aient leur conviction religieuse et désirent que cela soit respecté. Mais le tout doit rester dans le cadre républicain de la constitution et respectueux des droits de la femme.
Une dose de refus volontaire de l´autre existe dans chaque société : le racisme, la xénophobie, le tribalisme, le sexisme, l´homophobie ne sont qu´autre forme de ce refus de « l´autre ».

Qu’est-ce qui explique selon vous ce refus?

Il y a à ce sujet plusieurs théories en psychologie qui expliquent ce genre de ce refus. La discrimination d´une minorité par une majorité est bien expliquée par « l´hypothèse de la frustration » : en période de crise, de chômage accru dans une société, la majorité cherchera à trouver un « bouc émissaire » qui sera rendu coupable de tous les méfaits économiques de la société. Donc, on va canaliser toute l´énergie de sa frustration sur une minorité qui ne peut pas trop se défendre, au lieu d´attaquer les vrais responsables de la crise, donc le gouvernement en place et la politique qu´elle fait.

Les diversités socioculturelles, ethno-raciales, confessionnelles, identitaires etc.… constituent-elles à votre avis une richesse pour l’humanité ou plutôt un défi à relever ?

Absolument une richesse et toute personne qui prétend autre chose est vraiment très pauvre d´esprit. De par ma propre biographie, en tant que fils de diplomate, j´ai eu dès mon plus bas-âge à côtoyer les cultures différentes. Et cela a réveillé en moi cette fascination pour l´autre culture qui restera ancrée en moi toute ma vie. Bien sûr que « l´autre », l´inconnu, peut d´abord susciter la méfiance et chaque enfant a dans la croissance de sa personnalité cette phase où il s´accroche à sa mère, aux personnes qu´il connaît et a peur de l´autre. Mais on a tous dépassé cette phase à un jour, parce qu´on a appris à surmonter notre peur et à aller à l´encontre de l´autre.
J´aime le brassage des cultures, le métissage des peuples et le fait de surmonter les barrières religieuses. Je suis sûr que si beaucoup de personnes pensaient comme cela, et bien, notre monde serait meilleur. Vous ne pensez pas ?

Pensez-vous que la mobilité actuelle des individus et des peuples -qui est du reste le fait de la chute des frontières entre les états, du développement accéléré des technologies de transport et de la globalisation des activités humaines entre autres- peut contribuer à annihiler les nationalismes, les extrémismes, le racisme etc.… ? Ou est-ce plutôt un phénomène qui risque de faire empirer ces problèmes ?

C´est une question difficile à répondre en quelques mots, mais je pense malheureusement que la situation va dans le mauvais sens : plus le monde devient « global », plus « planétaire », plus il y a ce besoin de se retirer dans un petit village appelé « nation ». Je pense que les perdants de la globalisation cherchent plus de repères nationaux où ils peuvent mieux s´identifier à quelque chose. Cela explique notamment cette croissance des partis d´extrême droite en Europe, qui font de Bruxelles (donc l´Union Européenne) et de la globalisation « les coupables » de leurs problèmes socio-économiques.

Croyez-vous au dialogue entre les cultures, les peuples et les religions?

Disons que le dialogue serait souhaitable, mais comment commence-t-on un dialogue ?
Est-ce que l´on pose des conditions au départ ? Dans quel but doit-il aboutir ?
Parce que les dialogues, il y en a beaucoup, mais aboutissent-ils vraiment à quelque de chose de concret ?
Donc, oui, on doit dialoguer entre les cultures, les peuples et les religions, mais on doit avoir une finalité positive qui mène le dialogue à l´avant. Je peux devenir concret en citant un exemple : ici en Allemagne, il y a la fameuse « conférence de l´Islam » où le gouvernement invite les représentants des grandes organisations musulmanes à dialoguer. Je n´ai premièrement jamais compris pourquoi le tout ce passe sur l´égide du ministère de l´intérieur ? Est-ce que l´Islam pose un problème de stabilité sociale dont le ministère de l´intérieur doit prendre compte ? Pour moi, il y a un manque de sensibilité totale de la part du gouvernement allemand. D´autant plus que le ministre d´intérieur manque absolument de tact sur la question. Donc, on ne peut pas commencer un vrai dialogue de la sorte.

Êtes-vous d’avis qu’il est possible de dissoudre ou plutôt d’assimiler les entités issues de l’immigration dans la main stream des sociétés européennes?

Personnellement, Je n´aime pas trop le mot « assimilation » et encore moins le terme « dissoudre ». Le Front national de Marine Le Pen a usé de ces termes durant toute la campagne électorale en France. « Donc, on ne veut plus de société avec des composantes hétérogènes, on doit être tous les mêmes, pour que personne n´ait plus peur de  « l´autre ». Mais, on n´a pas tous des ancêtres gaulois, comme le souhaiterait Marine Le Pen.
On vient tous de quelque part d´autre, avec notre histoire, nos coutumes, nos traditions, nos m?urs, bref notre « paquet socio-religio-culturel ». Pour moi, on ne peut que s´enrichir en tant que personne, que si on ajoute à notre « paquet » initial d´autres aspects culturels positifs du pays accueillant. Donc, on ne se dissout pas, on ne s´assimile pas, mais on intègre en soi, des éléments positifs du pays accueillant : comme l´apprentissage d´une autre langue, connaître et comprendre la nouvelle société dans laquelle on vit pour devenir un citoyen à part entière de cette société.

Ma dernière question Mr. Kitenge, ne pensez-vous pas que nos gouvernants en Afrique peuvent contribuer à améliorer le statut de l’africain en mettant en ?uvre des stratégies de développement durable de nos pays respectifs ?

Ah mais, bien sûr, c´est une évidence. Mais là aussi, la réponse n´est pas dite en quelques mots. Le tout est de savoir, si les gouvernants africains ont le pouvoir entre leurs mains pour mettre ces stratégies de développement durables. Où sont prises les vraies décisions qui font évoluer les choses ? À Kinshasa, à Dakar, à Conakry ou bien à Paris et à Washington ou bien à la Banque Mondiale ou dans les derniers étages des grandes multinationales  ou dans les loges des réseaux obscures de la franc-maçonnerie ?
Ne vous leurrez donc pas de cette « illusion démocratique » qui veut nous faire croire que les peuples africains et leurs gouvernants respectifs peuvent à eux-mêmes changer brusquement le destin. Oui, la révolution arabe est peut-être un bel exemple d´émancipation d´un peuple, mais il y a plusieurs facteurs qui ont influencé le tout cela et on a vu que la même chose ne se transposer pas dans toute l´Afrique, voire ici la Côte d´Ivoire par exemple.


Je vous remercie Mr. Kitenge









                                                                                                   

Montag, 13. August 2012

Le Sénégal ou l'exception africaine


                                                                                                                                   

Mr. Souleymane Sokome juriste et politologue (Photo)















Souleymane Sokome est originaire du nord du Sénégal plus précisément de la commune de Hamady-Ounaré, située dans la région de Matam. Après avoir obtenu son baccalauréat au Lycée Mixte Maurice de Lafosse de Dakar et son Diplôme d´Etudes Universitaires Générales (D.E.U.G) au Département de Langues et Civilisations Germaniques de l´Université Cheikh Anta Diop de Dakar, il poursuivra ses études supérieures en Allemagne et en France, où il sera diplômé des sciences politiques et juridiques option relations internationales et droit européen et international des universités de Francfort, de Lumière 2 de Lyon et de l´institut européen de l´université de la Sarre.
Dans l´interview qu´il nous a accordée, il donne son point de vue sur la démocratie africaine en général et sénégalaise en particulier, les cinquante années d´indépendance du continent et sur la situation qui prévaut actuellement dans la sous-région ouest africaine.

Le Sénégal est présenté le plus souvent comme étant un modèle en matière de démocratie et d’Etat de droit, qu’en pensez-vous ?

Soixante ans après les indépendances, les régimes démocratiques restent minoritaires sur le continent africain. La plupart des Etats, sans être forcément autoritaires ou répressifs, ne respectent pas les préceptes de l´Etat de droit et favorisent le maintien au pouvoir d´une élite politique voire économique bien souvent à base ethnique. Ces Etats ne respectent pas les règles du pluralisme politique, les Droits de l´homme ou les libertés fondamentales et les transitions démocratiques. En outre, le continent africain a connu entre quatre vingt et quatre vingt cinq coups d´état au cours des cinq dernières décennies. En Afrique de l´Ouest excepté le Sénégal et le Cap-Vert tous les autres pays ont connu des transitions anti-démocratiques. Le Sénégal n´a jamais connu de coup d´Etat.
Si on se base sur cette analyse globale de la démocratie africaine et sans être arrogant, on peut dire que le Sénégal offre une singularité d´être l´un des pays les plus fiables en matière de démocratie en Afrique subsaharienne. La deuxième alternance politique qui vient de se produire au plus haut sommet de l´Etat sénégalais confirme la règle. Une belle leçon de démocratie qui devrait inspirer bien des pays du continent.

A votre avis qu’est ce qui fait le fondement de cette culture démocratique au Sénégal ?

La particularité de la démocratie sénégalaise s´explique par son passé. Le Sénégal a entrepris, bien avant les autres pays africains, de libéraliser sa vie politique, faisant ainsi oeuvre de pionnier sur le continent.
Pendant la colonisation, à la fin du XIXe siècle, l’Assemblée nationale française avait reconnu la citoyenneté aux Sénégalais des quatre communes (Dakar, Saint Louis, Gorée et Rufisque) qui pouvaient donc voter et se présenter aux élections. Dès les années 1970, alors que la plupart des pays d’Afrique subissaient des régimes de parti unique, le Président Léopold Sedar Senghor avait ouvert le pays au multipartisme en reconnaissant quatre formations politiques pour ensuite l´élargir définitivement et le transformer au multipartisme intégral c´est à dire illimité en 1981. Des mouvements politiques et syndicaux de toutes sortes ont pu développer leur action. L’existence d’une « tradition démocratique » sénégalaise existait aussi au-delà de la période coloniale par la prééminence même dans nos royaumes d’un espace public élargi dans laquelle figurait déjà une diversité d’acteurs. Le respect des libertés publiques et individuelles et notamment la liberté de la presse ainsi que la maturité des institutions et des citoyens constituent de nos jours les fondements de la culture démocratique au Sénégal.

Au Sénégal on décompte plus d’une centaine de partis politiques, à votre avis est ce que démocratie veut dire inflation de partis politiques ?

Au Sénégal lors des élections présidentielles de 2012, 174 partis politiques ont été recensés comme légalement constitués par le Ministère de l´intérieur. Etymologiquement, la démocratie signifie la souveraineté du peuple, qui est l'expression de la volonté générale. Et il n'y a pas de souveraineté du peuple sans représentativité. Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser", écrivait Montesquieu en 1748 dans De l'esprit des lois. La pluralité politique est avec le multipartisme au coeur du bon fonctionnement de la démocratie, et constitue de ce fait un rempart contre ces éventuels abus de pouvoir. Par contre il faut souligner qu´au Sénégal le multipartisme entraine souvent des problèmes qui sont entre autres l´absence de véritables projets de société, la prédominance de la doxa sur la mort des idéologies, les alliances contre nature pour la sauvegarde complice d´intérêts, les querelles de positionnement et de tendance qui priment sur l´intérêt général mais aussi la personnalisation des partis politiques. Ce n'est pas la démocratie qui est en crise dans notre pays, c'est la représentativité.
Le multipartisme intégral peut être utile dans une démocratie mais pas forcément nécessaire c´est le cas des Etats-Unis ou la République fédérale d´Allemagne qui ne fonctionnent pas sur le modèle démocratique pluraliste.

Pensez-vous qu’il y a un modèle de démocratie à la sénégalaise?

Pour moi il n´y a pas un modèle de démocratie à la sénégalaise. La démocratie fonctionne sur la base de certaines conditions bien définies. Il ne suffit pas seulement de mentionner l’expression « démocratie » dans nos constitutions par contre , il faut que le régime instauré, qu’il soit parlementaire, présidentiel ou semi-présidentiel etc… respecte un certain nombre de conditions (car il n´y a aucune démocratie parfaite au monde), lesquelles sont absolument indispensables pour voir une véritable démocratie se dessiner : La souveraineté du peuple à travers le suffrage universel, « la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » affirmait Abraham Lincoln. Par le peuple, cela veut dire que c'est le peuple – et lui seul – qui choisit ses élus. Et pour que la totalité du peuple – ou du moins la plus grande partie – exprime sa volonté, il n'y a qu'une seule solution: l'instauration du suffrage universel. Le pluralisme politique, pour que la liberté de vote ne reste pas lettre morte, il est indispensable que les électeurs aient la possibilité de choisir leurs représentants. Pour ce faire, faut-il qu'ils puissent choisir entre différentes formations politiques, entre différents programmes politiques, et entre différents candidats. La garantie des libertés fondamentales, comment imaginer une démocratie sans liberté de penser, de s'exprimer ou encore de se réunir pour débattre des thématiques fondamentales de la société ? La sauvegarde des libertés fondamentales sont primordiales, essentielles et vitales. Il est nécessaire de rattacher ces libertés fondamentales au mouvement du libéralisme politique, historiquement construit contre l'absolutisme. A ces trois grandes conditions indispensables à la démocratie, il est tout à fait possible d'en voir d'autres, par exemple la séparation des pouvoirs. De ce point de vue, il apparait indéniable que le Sénégal a eu à faire preuve de temps forts démocratiques car il réunit les conditions citées en haut même si souvent on note des dérapages.

Le Sénégal a l’instar de plusieurs pays africains a célébré, il y a de cela deux ans, son accession à la souveraineté internationale, quel bilan faîtes vous de ces cinquante années d’indépendance ?

L’année a été l’occasion pour nombre d’analystes de tirer le bilan de l’action des différents gouvernements africains sur le dernier demi-siècle. Cependant, les gouvernements africains se sont distingués dans le choix
de deux stratégies différentes. D´une part une démarche libérale et d´autre part socialiste. La démarche libérale a promu une économie qui se repose sur l’exportation de matières premières, la mobilisation de l’épargne locale et étrangère, le développement des infrastructures économiques et sociales et la constitution de zones monétaires sous tutelle française, en ce qui concerne l’Afrique francophone. L’objectif primordial de cette stratégie était la croissance du PIB, signe d’évolution et de modernisation, sans que l’aspect de la redistribution des richesses et de l’encadrement du creusement des inégalités ne viennent au premier plan. Le résultat de cette stratégie libérale aura été une aggravation de la dépendance économique des États africains vis-à-vis de l’étranger. La stratégie socialiste passait quant à elle par une nationalisation de l’économie, une priorité donnée à la transformation locale des produits, à la création d’un tissu industriel local et au contrôle de la répartition des richesses. Cette stratégie se serait elle aussi révélée en grande partie être un échec. De « L’Afrique noire est mal partie » de René Dumont 1966, en passant par « Et si l’Afrique refusait le   développement ? » d’Axelle Kabou (1991), pour arriver à « L’aide fatale » de Dambisa Moyo (2009), c’est un afro-pessimisme permanent qui est cultivé. L´Afrique est prise aujourd´hui en otage par l´occident sur tous les plans (financièrement, politiquement et économiquement). Sur le papier l´Afrique est indépendante mais en réalité le maître continue toujours de dicter sa loi. Même si tout n´est pas négatif mais comparée au progrès des autres continents, notamment l’Asie qui, comme l’Afrique, a subi les souffrances du colonialisme, l’Afrique se range dans le peloton de queue. C´est à nous maintenant de changer la tendance en comptant sur nos propres efforts pour faire avancer le continent.

Au vu de la situation parfois préoccupante de certains pays de la sous-région ouest africaine, quels conseils donneriez-vous aux acteurs politiques sénégalais ?

Ils doivent être plus vigilants en montrant la capacité de surmonter des crises politiques. La situation géopolitique de la Casamance doit incomber toute la classe politique sénégalaise pour trouver des solutions à la crise. Le Gouvernement du Sénégal, les intellectuels et dignitaires religieux du pays doivent oeuvrer pour la consolidation de la paix. La situation préoccupante dans certains pays de la sous-région constitue non seulement un danger pour la région méridionale du pays mais surtout pour l´ensemble du Sénégal. Quelles que soient les divergences idéologiques et mêmes de convictions religieuses, nous avons tous besoin d’être ensemble, dans le cadre d’un large rassemblement, pour faire face aux menaces qui pèsent dans la sous-région.
Le Président de la République, Son Excellence Monsieur Macky SALL est conscient de la gravité des faits en affirmant au sommet des Chefs d´Etats de l´Union Africaine à Addis-Abeba que « La situation qui
prévaut au Mali constitue une grave menace pour ce pays frère mais également pour la sous-région ouest-africaine ». Il a proposé une opération militaire rapide sous mandat de l’Onu pour la libération du Nord du Mali et la lutte contre les groupes terroristes. Une stratégie que je salue car le Sénégal ne peut pas avoir la paix si la case du voisin brûle.


Je vous remercie Mr. Sokome.

Merci à vous aussi!