Protubérances
Nr. Edition: Pro/ 04 09 09 2012
Intitulé/Thème : Pourquoi y-a-t-il tant d’échecs au niveau de l’immigration africaine en Occident ?
Intitulé/Thème : Pourquoi y-a-t-il tant d’échecs au niveau de l’immigration africaine en Occident ?
Invité: Pape Armand Boye, auteur-compositeur,
artiste-musicien, essayiste.
BIOGRAPHIE :
Pape Armand Boye est un
musicien - producteur sénégalais qui vit aux Etats Unis à New York. Membre
fondateur du groupe Tama de Rufisque, il quitte le Sénégal durant les années 90
et s'installe en Allemagne. Après des années
de collaboration et de tournées un peu partout en Europe, il s
installe aux Etats Unis à New York.
1.
Mr. Boye que vous inspire toute cette vague d'immigrés qui quittent l'Afrique,
ou plus précisément leurs pays d’origine pour venir s'installer en Europe ou en
Amérique?
Le
mouvement est inscrit dans l’Univers. Tout bouge, rien n’est figé, pas même ce
que nos yeux perçoivent comme « figé ».
Les
peuples ont toujours bougé et même les animaux émigrent naturellement.
Les
Africains émigrent pour des raisons différentes.
La
première raison, pour laquelle les Occidentaux ont tendance à nous montrer du doigt,
c’est l’aspect économique de l’immigration. Mais il y a des milliers, sinon des
millions, de raisons autres qui poussent les jeunes Africains à émigrer.
Derrière
l’économie se cachent d’autres raisons souvent occultées par le fait que la quête
humaine de l’Afrique est réduite à une dimension simplement matérielle. Alors
que le sens africain est beaucoup plus profond et large que la quête matérielle.
Quant
à ce que cela m’inspire, je ne vois pas de mal à voyager et à aller vers d’autres
cieux, ce sont plutôt les conséquences qui sont inquiétantes: fuite des cerveaux,
déstabilisation familiale et sociale, problèmes psychologiques et sociologiques,
intégration des générations issues de ces mouvements migratoires etc.…
2. Est-ce-que l'immigration
africaine sous sa forme actuelle est une solution aux problèmes de l'Afrique?
C’est
une question difficile. Il faut diagnostiquer
un mal pour trouver un remède.
Les
problèmes de l’Afrique sont nombreux. L’immigration seule n’est pas une solution,
même si les immigrés contribuent beaucoup à la vie de leurs familles restées au
pays.
J’ai
l’habitude de dire à mes amis en plaisantant, nous immigrés nous sommes un peu
des sortes de « couverture sociale » pour nos familles. De ce fait
nous avons tendance à faire plus que le gouvernement du pays d’origine. C’est
une contribution instantanée qu'il ne faut pas négliger, mais elle n’est en
aucun cas une solution durable.
3. Pourquoi y-a-t-il tant
d'échecs au niveau de l'immigration africaine en occident? Est-ce des échecs
individuels ou plutôt des échecs systémiques?
Il
y a plusieurs facteurs. Je ne suis pas
un spécialiste en la matière mais, par rapport à mon expérience,
c’est que d’abord nous n’y sommes pas préparés.
Nous
atterrissons ou amerrissons en Europe, avec beaucoup d’illusions sur un
continent riche et où il fait bon de vivre. La désillusion est énorme et les dégâts
psychologiques énormes.
Si
le but est de chercher de l’argent, nous passons à côté de choses merveilleuses
sans nous en rendre compte.
Si
le but est d’acquérir autre chose, qui ne relève pas du matériel, la famille ne
nous pardonne pas souvent de ne pas revenir en jet privé.
Plus
le fait qu’en réalité celui qui est envoyé par la famille n’est pas forcément
l’élu mais le sacrifié.
L’immigré
est seul en face de tout et de tous, c’est déprimant. Un immigré souvent est un
héros qui a sacrifié sa vie pour sa famille.
Plus
le fait que si on pouvait rentrer tranquillement en Afrique si l’aventure ne
marche pas… Mais non, l’Afrique est un continent où tout est basé sur un
honneur collectif dévastateur au détriment de la vie ou de l’honneur personnel de
l’émigré.
L’échec
systémique, c’est que l’Europe est une machine à broyer les Africains. Rien d’autre.
Et
l’Afrique aide à broyer ses enfants par un système d’exploitation de l’immigré,
qui est odieux.
J’assume
mes mots. Mais il ne faut pas oublier aussi les quelques réussites que l’effort
et l’abnégation ont crée.
Il
faut d’abord relever le fait que presque tous les peuples émigrent. Les allemands,
les italiens, les péruviens, les chinois, tout le monde quitte son pays pour
aller ailleurs.
Alors
pourquoi se focaliser sur l’émigration africaine ?
N’oublions
pas que la déstabilisation géographique, géopolitique, psychologique et la
violence des agressions du passé ont fait de nous des « refugiés » …
Oui
l’Africain est un refugié qui porte la mémoire de ses ancêtres.
Nous
fuyons toujours la violence des combats du passé et leurs dégâts collatéraux.
D’aucun
me diront que c’est du passé, certes mais, y-a-t-il un peuple sur terre, dont
le passé ne façonne absolument pas le présent?
La
tragédie nazie c’était en 1945, l’indépendance de beaucoup de pays africains c’est
entre 1960 et 1990. Et pourtant, certains relèguent la tragédie africaine déjà
dans la passé.
Le
profil nouveau de l’émigré africain en Occident gagnerait beaucoup à ce
qu’on arrête, de le mépriser lui et son histoire.
Il
devrait y au moins avoir une alternative au retour catastrophique que beaucoup
de nos compatriotes vivent. Mais je crois personnellement que l’alternative c’est
de créer des emplois au niveau des pays de départ.
S’il
y a un projet de société, où la justice, l’équité, le droit à un logement, le
respect de la dignité de l’individu, une couverture médicale sont assurés à nos
concitoyens aucun d’eux ne quittera son pays.
Les
Africains aiment vivre chez eux, ils ne demandent qu’à avoir accès à un
minimum. Toute autre idée, pourrait se révéler être de l’utopie et de la
démagogie politicienne.
En
Europe des siècles de colonisation et de propagande médiatique ont crée un
hologramme négatif et complètement hallucinant du noir.
Quoi
que vous puissiez faire ou dire, le type en face de vous a un hologramme
programmé dans sa tête. Et c’est dur de se battre contre un hologramme.
Aux
Etats Unis par contre, les noirs se sont battus contre le racisme, la
ségrégation et ont réussi quelque part à démontrer que l’idée de la suprématie
d’un peuple sur un autre est une aberration. Même si le combat n’est pas fini.
Quand
on est africain aux Etats-Unis, on peut bénéficier de cette image plus positive
du noir.
L’immigration
clandestine est une situation très dure à tous les niveaux.
Hormis
la perte de temps pour l’immigré,
l’angoisse et l’incertitude même
sont les socles de cette
situation désastreuse.
Personnellement,
je crois que c est une erreur de vivre dans la clandestinité.
C
est moralement aussi inacceptable.
Au
nom de la dignité humaine personne ne devrait être amené à vivre dans la clandestinité.
Par
contre beaucoup d’émigrés sont honteusement exploités, par des patrons véreux
qui savent que ces derniers n’ont pas de papiers et ils en profitent bien, en
leur payant des salaires de misère.
Ils
sont sans droits et n attirent l’attention de personne.
La
clandestinité, ce n’est pas glamour. Ce n’est pas un thème vendable.
L’immigration
choisie elle, me rappelle curieusement les théories darwiniennes de la sélection
naturelle où les plus « faibles » doivent laisser la place aux plus
« forts ». Je suis complètement en désaccord avec ce schéma sélectif
des individus basé sur leur éducation ou leur statut.
Je
pencherai pour un échange, qu’ils nous donnent leurs « cerveaux » et
qu'ils prennent nos « cerveaux » (Rires) Ce serait équitable.
Maintenant
c’est à nous de choisir.
C’est
complètement faux de penser que l’Afrique n’a rien à offrir à ses
« cerveaux ». Les médecins,
les professeurs, les ingénieurs font leur vie et se réalisent parfaitement.
L’idée d’un Occident parfait pour les intellectuels et les savants est un
mythe.
Faut-il
occuper sa vie à la recherche de l’éphémère, lorsque l’éternité des générations
à venir nous interpelle?
Faut-il
aller enseigner à Yale ou Oxford quand tout est à refaire en Afrique?
J’ai
vu des docteurs pakistanais et des ingénieurs irakiens devenir chauffeur de
taxi à New York, alors qu’ils ont des étudiants qui les attendent au Pakistan
et en Irak. Je tiens cependant à préciser que ceci est une vision
intellectuelle et non pas un jugement sur les personnes et leur choix.
Moi
je ne suis pas un cerveau, mais je crois que
je repartirai afin que d’autres jeunes puissent bénéficier de mon expérience
accumulée durant mon odyssée.
J’ai
été très surpris, par le discours de Dakar. C’est une polémique niveau caniveau
et je ne perds pas du temps sur ces histoires. J’ai été d’ailleurs surpris de
voir autant d’intellectuels sénégalais se liguer pour lui répondre. On prête à
l’ancien président Wade, le fait d avoir dit après le discours en guise de réponse:
« Son nègre l’a trompé »
Monsieur
Sarkozy n’est pas un intellectuel, alors forcement ces pensées idéologiques ne
sont pas de son ressort. Et d’abord de quelle histoire s’agit-il? L’histoire de
l’humanité? Ou celle de la France? Ou de celle des Africains? Ou l’histoire
tout court, qui donne raison aux agresseurs et invalide la thèse des agressés? Comment
quelqu'un de sensé peut-il penser que les Etats-Unis sont entrés dans l’histoire
plus que la Hongrie ou la Hongrie plus que le Venezuela?
L’Histoire
s’écrit et tout ce qui s’écrit s’interprète.
Donc
à chacun ses interprétations philosophiques, religieuses, ou même racistes. Mon
interprétation à moi est que l’Homme noir est entré dans l’Histoire de l’Humanité
par la grande porte à tous les niveaux.
Nous
avons beaucoup donné à l’Europe, au monde arabe et aux Amériques etc.…
Je
dois aussi dire qu’à chaque époque de l’histoire, il y a eu des actes, et des pensées
pour dégrader l’image de l’homme noir. Sarkozy a juste repris des vieux thèmes
qui font de l’Afrique une sorte de tabula rasa où tout est vide, figé pour l'éternité.
Nous
sommes entrés dans l’histoire au point qu’ils ont eu besoin de notre continent
durant des siècles pour exister. Qu’est ce que la France faisait en Afrique
pendant tout ce temps ?
9. Quelle est selon vous la part
de responsabilité de la faillite des élites africaines dans cet exode global
des Africains?
La
part de responsabilité des élites dans ce problème, c’est que les élites ont déjà
quitté l’Afrique, elles-mêmes ont émigré ailleurs, victimes des abus de ceux
qui se disent “élites“ aujourd’hui. (Rires)
Plus
sérieusement encore, il faut des moyens de retenir les candidats à l’émigration.
Aux politiciens de trouver des solutions.
La
fuite des cerveaux est spécifique à chaque région de l’Afrique. Dans certaines
zones où les tyrans et dictateurs de tout acabit règnent, les cerveaux sont les
médecins, les instituteurs, les journalistes qui sont souvent des dissidents,
les remparts contre la dictature. Quand ils fuient le régime, ils sont
remplacés par des pseudo-cerveaux qui servent la dictature.
Dans
d’autres pays sans dictature politique, comme le Sénégal, la dictature vient
des familles pour qui revenir sans l’or de Fort Knox ou la fortune de Bill
Gates est une honte. Ce qui fait que nos élites lorsqu’elles quittent
l’Afrique, elles deviennent par la force des choses des commerçants improvisés,
oubliant que « seul l’esprit s’il souffle sur la glaise peut créer
l’homme » comme disait Antoine de Saint-Exupéry.
10. L'isolement des Africains en
Occident, c'est dans les deux sens, me disiez-vous un jour, que voulez-vous
dire par là?
Ben
simplement par le fait que nous nous regardons en chiens de faïence. Eux ils
nous isolent et nous nous isolons par l’acceptation de cet isolement. Il faut
faire face et ne pas avoir le profil inné de la victime. L’ignorance de l’autre
se reflète dans le miroir que nous leur tendons parfois. Il est temps que les
Africains se voient avec leurs propres yeux, même si cela semble impossible
pour l’instant.
A
l’école, il faut revoir ce que nous enseignons à nos enfants, les mots ayant une
résonance particulière dans la tête d’un enfant. Au mot « colonisation »
par exemple, je préfère le mot « occupation ».
Cette
histoire de l’Afrique ou des blancs puissants venus conquérir nos terres doit être
effacé de la mémoire collective. Nous
devons nous focaliser sur des termes comme « agresseurs » et
« agressés », avoir un devoir de mémoire sans tyrannie ni rancune.
Les
vainqueurs c’est nous pas eux. L’indépendance nous l’avons payé chèrement au
prix du sang et de la misère. Et nous continuons à la payer durement. Mais des
historiens spécialistes doivent se pencher sur ça, moi je ne suis qu’un musicien.
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