La constitution de
la République du Sénégal veut dans sa théorie normative que le Sénégal soit un
état laïc. Cependant une simple observation empirique objective de la pratique
politique réelle, en termes de fonctionnement des institutions, suffit pour en
déduire que le Sénégal est de facto un état religieux. En d’autres termes le
caractère laïc de la République du Sénégal est putatif. L’idée même de laïcité
en tant que forme d’organisation politique, à l’origine, ne découle pas de la
volonté souveraine du Peuple Sénégalais, mais résulte plutôt du suivisme de
l’élite politique et intellectuelle du Sénégal postcolonial immédiat, qui n’a
pas su forger une loi fondamentale et un système de régulation normative à
l’image de la société sénégalaise. Il a été simplement question de plagier odieusement le modèle français et de
l’appliquer à une société sénégalaise, qui malgré un siècle et demi
d’occupation coloniale et de tentative d’aliénation culturelle a su préserver
son identité religieuse. Nous avons été musulmans avant d’avoir été sénégalais,
nous avons été croyants, avant d’avoir été citoyens. L’Islam est millénaire au
Sénégal, alors que la République du Sénégal vient tout juste de célébrer le 53ième
anniversaire de son accession à la souveraineté internationale.
Les élites
politique et intellectuelle du Sénégal ne sont toujours pas parvenues, et ce
après cinquante années de souveraineté internationale, à intégrer l’identité
religieuse de l’écrasante majorité des citoyens sénégalais, en tant que donne
sociologique réelle, dans le système de notre organisation sociopolitique. C'est-à-dire
la chose religieuse a été toujours et continue encore de faire l’objet d’une
gestion informelle. Ce qui entre autres explique le phénomène de mendicité des
élèves en école coranique et la gestion ethno-tribale voire clanique de l’Islam
au Sénégal.
La laïcité à
laquelle la constitution sénégalaise fait allusion dans son premier article
n’est rien d’autre que le pendant politique de l’athéisme, de
l’anticléricalisme et de l’anti-religion. Ce concept de laïcité à la française
nous est étranger. Et ce n’est pas la simple abstraction d’une fiction juridique
qui fera de nous autres sénégalais des athées, des anticléricaux ou des ennemis
de la religion. Il nous faut donc une redéfinition de la laïcité, laquelle
prendra en compte nos réalités socioculturelles auxquelles nous référons. Il ne
s’agit ici nullement de faire l’apologie d’un régime théocratique. Je rejette
toute idée de fondation d’un régime théocratique au Sénégal.
Si laïcité veut
dire séparation entre l’État et la
religion, que cette séparation soit alors purement fonctionnelle et non fondamentale.
C'est-à-dire que cette séparation ne nie pas le fait social réel que nous le Peuple Sénégalais
sommes croyants en Dieu. Et de la même manière qu’il y a des institutions
politiques qui ont pour vocation d’organiser la vie publique de la Nation, que
l’on crée un organe institutionnel neutre et équidistant chargé d’organiser la
gestion du culte. En d’autre termes la République du Sénégal devra être neutre
(c'est-à-dire ni musulmane ni chrétienne) et à égale distance entre les
différentes confréries dans le cadre de sa gestion des questions cultuelles.
L’architecture
institutionnelle du Sénégal a plus que jamais besoin d’un secrétariat d’État au
culte et d’un haut conseil du culte du musulman dans lequel toutes les
confréries musulmanes du Sénégal seront représentées de manière paritaire. Le
haut conseil du culte musulman convoquera à échéances régulière les
états-généraux de l’Islam au Sénégal et aura pour mission principale
d’harmoniser la pratique de l’Islam au Sénégal. Il servira aussi d’instance de
dialogue entre les différentes confréries du Sénégal. Le secrétariat au culte quant
à lui aura pour mission d’organiser la gestion administrative des affaires
religieuses. Il sera compétent pour prélever des impôts destinés aux cultes, collecter
des dons, organiser les fêtes religieuses (Tabaski, Korité, Tamkharit etc.) sur
l’étendue du territoire national et financer de manière proportionnelle les
cérémonies religieuses à caractère confrérique (Maouloud, Magal, Daka, commémoration
de l’appel de Yoff etc.). Il sera doté d’un budget voté par le parlement pour
subventionner la formation académique et théologique des imams, prêcheurs,
muezzins et des oustazes, et financer la construction, l’entretien et la
restauration des mosquées et autres édifices religieux.
Les imams,
muezzins, prêcheurs et oustazes seront des agents contractuels de l’État du
Sénégal et dans certains cas que la loi précisera, agents de la fonction publique nationale.
L’ensemble des
religieux constituera un clergé hétérogène certes mais qui sera placé sous
l’autorité directe du haut conseil du culte musulman. L’État du Sénégal
reconnaitra aux membres de ce clergé un statut juridique spécial qui soumettra
ces derniers à une obligation de réserve en matière d’appartenance politique et
une interdiction d’exercice aussi bien actif que passif du droit de vote.
Le ministère de
l’éducation nationale garantira à chaque élève
musulman -si les parents ou le tuteur de ce dernier le désire-
l’apprentissage du Saint Coran et de l’Islam et à chaque élève chrétien un
cours de catéchisme, si les parents ou le tuteur de ce dernier le souhaite.
Ainsi le Gouvernement de la République du Sénégal pourra-t-il avec
l’introduction de l’enseignement religieux dans écoles, lycées et collèges
combinée à l’obligation de scolarité jusqu’en classe de terminale éradiquer de
manière effective le phénomène « talibé njaangan » et abolir le
système des « daaras ». De ce fait l’Islam et le Saint Coran seront
appris au Sénégal dans des conditions décentes et humaines. Les pouvoirs
publics sénégalais pourront dans ce sillage faire construire une université
islamique dans laquelle les étudiants en théologie aura accès non seulement à
la science religieuse mais aussi aux autres branches de la science (droit,
économie, sociologie etc.).
La religion fera
ainsi l’objet d’une gestion républicaine, intellectuelle et humaniste.
Abd El Kader Niang
Analyste politique
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