Diplômé des sciences politiques et juridiques des Universités de Francfort sur le Main, de Lumière II de Lyon et de l´Institut européen de Sarrebruck en Allemagne, Souleymane Sokome qui est de nationalité sénégalaise ne cesse de revendiquer son patriotisme. Très loin de son pays natal, l´actualité africaine ne lui reste pas indifférent. Le jeune juriste et politologue nous livre son point de vue sur la situation qui prévaut actuellement au Mali, la participation de l´armée sénégalaise aux opérations en cours au Mali avec ses conséquences et les responsables du conflit armé.
Vous suivez de près l’actualité politique africaine et plus exactement l’actualité politique ouest-africaine, que pensez vous de la situation qui prévaut actuellement au Mali?
Êtes-vous d’avis que la solution au dossier touareg est essentiellement militaire?
Certains observateurs sont d’avis que le problème touareg est plus ethnique que religieux qu’en pensez-vous?
Cette intervention directe de l’Armée sénégalaise dans ce conflit ne risque-t-elle pas d’engendrer des représailles terroristes de la part des islamistes touarègues ?
Que vous inspirent les propos du Ministre sénégalais des Affaires Étrangères selon lesquels « il existe des cellules dormantes de réseau terroriste au Sénégal » ?
La réponse militaire conjointe de la France et de certains pays de la CEDEAO à elle seule peut apporter une solution définitive à la crise dans l’Azawad?
Personnellement êtes-vous convaincu des capacités militaires et policières des pays ouest-africains à lutter efficacement contre le terrorisme islamiste en particulier et les autres nouveaux types de menace qui pèsent sur la sous-région en général (criminalité transfrontalière, le trafic international de drogue, le commerce illégal des armes etc.…)
Ne voyez-vous dans ce problème une conséquence indirecte de la chute du régime du Colonel Kadhafi ?
Quelle est la part de responsabilité du Général Amadou Toumani Touré dans la défaite des forces armées maliennes au printemps dernier ? Aurait-il manqué de fermeté dans ce dossier ? N’aurait-il pas méprisé l’impact que pouvait avoir la chute du régime libyen au niveau géostratégique?
Bonjour Mr. Sokome, merci d’avoir bien voulu prendre part à ce premier numéro de l’émission Protubérances de l’année 2013.
Avant tout d´abord, permettez-moi de rappeler au peuple Malien que tous les fils d´Afrique sont unis derrière eux. Le Mali est un pays qui a vu naitre de grandes personnalités dont notamment l´homme le plus riche en histoire qui est Mansa Musa. C´est un pays qui ne devait pas brûler car il symbolise la vitrine traditionnelle africaine.
Donc la situation qui prévaut actuellement dans ce pays frère constitue non seulement une menace à la paix sous-régionale mais aussi africaine. Depuis le coup d’état du 22 mars 2012, le pays reste instable. La présence de trois forces armées rivales compromet la paix et la stabilité du pays. D´une part la junte militaire qui a remis en cause le processus démocratique de plusieurs années, qui est aussi la source de tous les maux dont souffre aujourd´hui le Mali, d´autre part la rébellion touareg appuyée par les « fous d´Allah » qui poursuit son offensive dans le nord et l´armée régulière, fidèle au Président sortant Amadou Toumani Touré, qui est hostile à toute réconciliation nationale. Le Mali est entre le marteau de ces trois forces armées et l´enclume de la CEDEAO et de la communauté internationale qui tardent à réagir pour libérer le pays. Ce qui constitue un danger pour le processus de paix au Mali. L´armée malienne, divisée, mal organisée et mal équipée, n´a aucune présence au nord et se trouve aujourd´hui dans l´incapacité militaire de faire face à ces groupes ou de libérer la partie nord de leur emprise. La situation est très alarmante et seul un soutien extérieur massif pourra sortir du Mali de l´impasse.
La guerre n’a jamais été une solution car préférant toujours la voie diplomatique. Mais la situation actuelle au Mali oblige à faire recours à la force armée. N´oublions pas que le mouvement rebelle touareg date de 1990 et que les touaregs sont estimés à plus d´un million de personnes répartis entre le Mali, le Niger, l´Algérie, mais aussi la Libye, le Burkina Faso et la Mauritanie. Sur le terrain les combattants sont estimés à 2000 hommes voire plus. C´est un groupe à ne pas sous-estimer, ils peuvent déstabiliser toute la région ouest-africaine si aucune mesure n´aurait été prise. Les Touaregs constituent donc une branche du vaste ensemble berbérophone qui peuple une large partie de l'Afrique du Nord-Ouest (Maghreb, Sahara et Sahel). Et vue la confusion après le coup d´Etat militaire du 22 mars 2012, les séparatistes touaregs du Mouvement national de libération de l´Azawad (MNLA) avec le soutien du mouvement islamiste supposé lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) d´Ansar Dine, ne vont jamais suivre la voie diplomatique, d´ailleurs ils contrôlaient plusieurs villes du pays avant l´intervention des troupes françaises. Ils continueront à semer la terreur dans toute la région ouest-africaine, voire au delà des frontières maliennes si aucun recours militaire n´est envisageable. L´opération militaire est la seule solution même si cela causera des dégâts matériels et des pertes humaines considérables. Surtout l´opération peut durer plus que longtemps que prévue.
Ce sont les deux à la fois : Ethnique parce que les touaregs soucieux de préserver leur intégrité territoriale, souhaitent assimiler leurs concitoyens d´origine touarègue au sein de leur communauté nationale. Pour cela ils veulent les acculturer et modifier profondément leurs modes de vie. Répartis sur d´immenses territoires, les touaregs n´en ont moins conservé un fort sentiment d´appartenance communautaire.
Religieux : L´islam est pratiqué par les touaregs de manière tempérée. Mais l'unité découlant de la langue et de la religion ne doit pas occulter l'existence d'une multitude de segmentations tribale, sociale et ethnique, donnant à la société touarègue un aspect fortement hiérarchisé et composite. Les touaregs qui sont aussi des protecteurs de la religion veulent instaurer la charia sur l´ensemble du Mali.
Que pensez-vous du choix du Sénégal quant à la participation de l’Armée sénégalaise aux opérations militaires en cours au Mali ?
Vous savez le Sénégal ne peut pas avoir la paix si la case de son voisin est en flamme. Le Sénégal est un territoire à la fois géostratégique et géopolitique. L´instabilité au Mali constitue un gouffre pour toute la sous-région y compris le Sénégal qui se trouve à quelques kilomètres de son voisin malien. La crise au Mali pourrait totalement reconfigurer la géopolitique sous-régionale avec une dangereuse incrustation des groupes armés. Il y a péril en la demeure et il faut agir le plus rapidement possible. Le Président de la République, son Excellence Macky SALL, a été claire en précisant que cette intervention des soldats sénégalais avait pour objectif de « protéger ses frontières » contre toute infiltration des terroristes, mais aussi pour aider l’armée malienne à reconquérir les zones du Nord occupées par les islamistes.
En outre, notre pays a toujours joué un grand rôle dans le déploiement des troupes à l’étranger. Des troupes sénégalaises sont présentes actuellement en Côte d´ivoire, au Soudan et en République démocratique du Congo. Je salue donc la décision du Gouvernement sénégalais d’envoyer nos Diambars pour libérer le Mali même si j´ai toujours un mauvais souvenir de nos militaires qui ont péri lors de la guerre du Golf en 1990. On se rappelle toujours des 92 soldats sénégalais tués suite á l´accident de l´Hercules saoudien qui les transportait.
Bien sûr il y´a des risques de représailles de la part des islamistes sur notre pays. Je crois d´ailleurs notre Ministre des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye est très conscient de cela. Maintenant c´est au Gouvernement du Sénégal de prendre toute la responsabilité de son engagement dans le conflit en sécurisant les frontières contre une éventuelle infiltration des groupes armés. Mieux vaut prévenir que guérir. Il faut parer à toute éventualité et anticiper par rapport aux événements. Ceci dit les représailles terroristes pèsent plus sur la France que sur le Sénégal. Les islamistes détiennent des otages français et c´est ça le drame. Il faut prendre les propos du groupe islamiste Ansar Dine très au sérieux lorsque celui-ci menace la France de représailles.
Oui il existe des cellules dormantes au Sénégal mais pas des terroristes mais des frustrés quant à l´inflation galopante, la cherté de la vie et l´inégalité sociale. Imaginez-vous la vie à Dakar est plus chère que la vie à Berlin. Le réveil de ces personnes frustrées peut être brutal pour notre pays.
Non je ne pense pas car il n´y a pas de petite guerre et l´opération peut durer des années. Ce qui nécessite un large appui logistique et militaire de la communauté internationale car les islamistes sont très bien armés et ils connaissent mieux le terrain, ils peuvent reculer pour mieux sauter. Je ne vois pas de solution rapide, on risque de voir un Afghanistan à l´africain. On assiste déjà à un afflux d´islamistes, de djihadistes, de salafistes venus du Nigeria, de la Somalie, du Soudan, de la Mauritanie et du Niger. Une plateforme de forces islamistes terroristes est déjà installée au nord du Mali à cause du mutisme de la communauté internationale qui a tardé à réagir à temps. Ce qui constitue un grand problème pour la région. Un autre conflit armé risque de s´installer dans la durée. Le Mouvement National de libération de l´Azawad est très puissamment structuré et armé avec le soutien de certains pays arabes.
Non car la plupart des armées africaines sont mal équipées et mal commandées. Je pense que le Général américain Carter F. Ham a raison d´avoir un doute « sur les capacités d'une force conjointe africaine à mener seule une action militaire au Mali.
L´état de déliquescence des armées africaines est si avancé que n´importe quel mouvement armé disposant de quelques Kalachnikov est capable de les mettre en déroute. Nos armées sont trop vieilles et doivent être modernisées. Il n'y a quasiment aucun pays qui possède un système de défense équipé de missiles anti-aériens modernes. On a toujours recours aux canons antiaériens. Et aucun pays n'a accès à des satellites capables de le renseigner sur les mouvements de personnes ou d'aéronefs suspects dans son espace aérien sans l'aide de forces étrangères. La preuve, l´armée malienne a été chassée de Kidal, Gao et Tombouctou en moins de trois mois après avoir abandonné armes, bagages et munitions aux mains des islamistes. De nos jours aucune armée africaine n´est en mesure de défendre son propre territoire national en cas d´attaques. Comment est-il possible que de nos jours on ne trouve aucun centre d´études stratégiques et internationales dans les pays francophones d´Afrique? Le seul Centre d´études stratégiques de l´Afrique se trouve à Washington avec des bureaux régionaux à Addis-Abeba et à Dakar. Le Centre est une composante de l´Université de la défense nationale américaine.
Un autre problème comme disait le Président Macky SALL dans une interview accordée á Jeune Afrique ce sont « les frontières poreuses entre les pays africains ». Ces frontières constituent un gros handicap pour lutter efficacement contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière, le trafic international de la drogue et le commerce illégale des armes. Le contrôle des frontières et la lutte contre le terrorisme, la criminalité, le trafic de la drogue et le commerce illégal des armes exigent des moyens humains, matériels et financiers importants. Ces moyens sont hors de portée des Etats ouest-africains pris individuellement. En outre le manque de coopération au niveau national et sous-régional ne facilite pas aussi les choses.
Néanmoins, il faut saluer la volonté et la détermination des pays de la CEDEAO à aider le Mali pour son unité.
La chute du régime du Colonel Kadhafi est une onde de choc qui déstabilise non seulement l´Afrique mais en particulier le Mali. Jacques Hogard, le spécialiste des questions sécuritaires en Afrique n´a pas tord en déclarant que « Les Touareg qui se battaient aux côtés de Kadhafi sont rentrés dans leur pays d’origine qui est le Mali avec un armement très important et des munitions. Finalement, les rebelles touaregs du Nord-Mali qui réglaient le conflit à l’amiable avec le Président Amadou Toumani Touré, ont pris des décisions qu’ils n’avaient jamais prises auparavant en déclarant l’indépendance de l’Azawad ». Mais moi personnellement je pense que le principal responsable de la situation qui prévaut actuellement au Mali est le capitaine Sanogo qui est la cause principale des maux de l´Etat malien. Il a motivé les différents groupes armés à déstabiliser le Mali. Le coup d´Etat du 22 mars 2012 n´était pas nécessaire.
A votre avis si la chute du régime de Kadhafi est imputable à l’intervention armée d’une alliance américano-franco-britannique dans ce conflit, ne voyez pas alors la responsabilité indirecte de la France, de la Grande-Bretagne et des USA dans l’invasion touarègue dont est victime le Mali ?
Oui je vois d´une part la responsabilité de ces pays, car il y avait aucune réflexion en avance aux conséquences que pourrait engendrée la guerre en Lybie. Kadhafi est parti mais l´insécurité reste dans le Sahel. La chute du régime du colonel Kadhafi serait donc pour moi l´un des éléments déclencheurs du conflit malien mais pas l´unique facteur de la crise actuelle.
Celui qui règne par les armes périra ou quittera par les armes. En 1991 Amadou Toumani Touré chasse du pouvoir par un coup d'Etat militaire, le dictateur Moussa Traoré - au pouvoir depuis 22 ans - qui venait de réprimer dans le sang des manifestations. Même si le coup d´Etat était nécessaire á l´époque, Amadou Toumani Touré n´as pas réussi sa politique de cohésion sociale dans l´armée mais aussi au sein de son propre gouvernement. Son mutisme c´est á dire le manque de communication était son point faible. Il était impossible pour lui de tenir des dates de consultations. Il n´était pas un Président qui prenait des décisions fermes. Par contre il était très conscient de l´impact que pourrait avoir la chute du régime Kadhafi au niveau géostratégique mais son départ de la présidence le démotivait pour prendre toute mesure préventive. Certains maliens le considèrent aujourd´hui celui qui a libéré le Mali de la dictature de 1991 mais aussi celui qui a trahi le pays, car étant loin de la misère et de la souffrance du peuple.
L'auteur Abd El Kader Niang
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