Si les traites
négrières successives, arabo-berbères et européennes, ont réussi a disséminé la
race noire sur d’autres terres géographiquement non africaines, force est de
reconnaître que l’extermination dont a été victime les Amérindiens et les
Aborigènes d’Australie, nous a été épargné, Dieu merci! Nous avons survécu aux
traites négrières et à la colonisation, pourra-t-on dire avec stoïcisme.
Cependant le bien-être et la survie des descendants d’esclaves noirs africains
aux Amériques et ailleurs sont menacés dans la mesure où, le commerce criminel
de l’homme noir a certes arrêté, mais il n’a pas été décidé d’accorder à
l’homme noir la possibilité d’introduire une demande de relèvement de
forclusion. L’homme noir des Amériques, de l’Arabie, du Maghreb et des Indes
traine encore en lui les stigmates de l’esclavage et sa condition de servitude
antérieure rend difficile voire presque impossible son insertion dans la
société post-esclavagiste dans laquelle il évolue. Il est soit condamné aux
sots métiers ou soit astreint à faire les basses besognes. Il ne sera accepté
que s’il renonce à sa dignité d’être humain et accepte de se réifier,
c'est-à-dire d’être l’objet d’assouvissement de tout désir pervers. En le
privant d’éducation, de couverture médicale, de protection sociale et d’accès
aux ressources financières, les sociétés post-esclavagistes ont fermé au noir
toute porte menant à une ascension sociale noble et vénérable. Seuls le sport
et la musique lui ont été laissés ouverts, ou du moins on n’a pas pu lui fermer
ces fortes. Encore que ce ne soit pas tout le monde qui réussit dans le sport
ou la musique. Un stade olympique peut prendre des milliers de places, mais
l’aire de jeu quant à elle ne peut juste prendre qu’une dizaine ou tout au plus
une vingtaine de joueurs. Est-ce qu’on s’est déjà posé la question à savoir
pourquoi les artistes-chanteurs noirs américains ont soudain la peau éclaircie
et les cheveux défrisés ? Pourquoi le rôle de la personne méchante dans
une télénova brésilienne est toujours interprété par un noir ? Pourquoi ne
voit-on pas d’acteur noir dans un film hindou ? Pourquoi le noir danseur
est plus célèbre que le noir mathématicien ou physicien ? On nous parle
rarement du noir pilote de chasse durant les deux guerres dites « mondiales » !
Que savons-nous du noir propriétaire d’un brevet d’invention ?
Si le juif survivant
de l’Holocauste a réussi à s’intégrer ou à réintégrer la société, qui lui avait
privé de ses droits fondamentaux d’être humain, c’est parce que d’une part la
couleur de sa peau ne rappelle pas Dachau ou Birkenau. Le noir des Amériques par
contre, rappelle à son ancien maître blanc, de par sa peau foncée, ses cheveux
crépus et ses lèvres charnues sa souffrance dans les champs de canne à sucre
sous le soleil de plomb, sacrifice et labeur acharné pour lesquels il n’a reçu
que des coups de fouet en guise de paie. Ce sentiment de culpabilité non
confessée fait que l’ancien maître blanc, par peur de représailles de la part
de son esclave de jadis, se refugie dans le refus et le rejet de celui-ci, en
arguant que ce dernier est agressif ou dangereux. La honte et la peur de ce
dernier se sont transformées en haine. Cette haine à son tour a pris le nom de
police ou de justice. Elle s’appelle en vérité patrouille d’esclave, milice
raciste ou organisation ségrégationniste. Elle se dit partisan du maintien de
la peine de mort ou peut-être adversaire de la suppression de la peine de mort,
mais dans tous les cas elle est, sans aucune autre forme de procès, favorable
au lynchage public et légal du noir. Et d’ailleurs comment comprendre que le
noir minoritaire au sein population globale des États-Unis, soit majoritaire
dans la population carcérale américaine. Comment expliquer le fort taux de
chômage du noir aux États-Unis ?
C'est-à-dire que
l’aspect physique du noir, qui est totalement en dissonance d’avec
l’environnement socioculturel et ethno-racial dans lequel il a été transposé
contre son gré et son vécu passé et présent d’individu sans droit et sans
protection dans cette même société font que le noir est resté un élément
étranger dans ce corpus qui n’est pas le sien. Il n’arrive pas à se dissoudre
dans ce celui-ci et ce dernier aussi refuse de l’absorber. Tel le juif errant,
le noir se sent nulle part chez-soi et il est étranger partout. Qu’il soit du
Canada, des États-Unis, des Caraïbes ou du Brésil la première question qu’on
lui pose ouvertement est la suivante : « D’où
venez-vous ? ». La dernière question qu’on lui pose après une
discussion le plus souvent à sens unique et qui a tout d’une séance
d’inquisition est quant à elle tacite, et se résume en ces
termes : « Quand est ce que vous allez rentrer en
Afrique ?». Au colon blanc installé quelque part en Amérique ou en
Australie, on ne lui pose jamais la question à savoir, quand est ce qu’il
compte rentrer en Europe, terre de ses aïeux. Mais en fait quand est ce que
l’exil à Babylone de l’homme noir prendra-t-il fin ? Quand est ce que le
noir retrouvera-t-il sa Terre Promise à lui, l’Afrique ? A quand notre Aliyah
nous aussi ? Ou sommes-nous peut-être une tribu égarée ?
La tribu de Cham est
dans le désert. Elle erre. Elle ignore tout d’elle. Elle ne sait pas que
l’Afrique est sa Terre Promise. Elle a fui la maison de servitude, mais la
liberté est pour elle un sentiment étrange. La traversée du désert est longue
et pénible d’autant plus que Moise est absent et Aaron peine à se faire
entendre, la foule qui l’entoure est bruyante, ignare et impatiente. Avons-nous
fait un pacte avec Jéhovah pour espérer que la promesse divine faite à nos
ancêtres se réalise enfin ? Qu’avons-nous appris de notre exil à Babylone ?
Avons-nous banni la turpitude et la corruption de nos mœurs ?
Avons-nous élu la lumière comme loi ? Avons-nous accepté de rejeter
l’idolâtrie ? Avons-nous cessé d’associer d’autres êtres à Dieu ?
S’il est un peuple
sur lequel sur le peuple noir à certains égards devra prendre exemple, c’est
bien le peuple juif. En effet le peuple juif réussit constamment l’exploit de
se remettre de ses tragédies les plus douloureuses, de se réorganiser de
manière encore plus efficace qu’auparavant, de préserver son identité
culturelle et religieuse, d’assurer sa sécurité et de conserver la mémoire de
son vécu tragique en une science historique de récit et d’interprétation
actuelle des faits et actes passés. Le peuple juif est un peuple uni dans la
diversité. L’homo israelus sait distinguer le superflu de l’essentiel. Il a foi
en sa destinée et a confiance en lui-même. Il connaît le mérite de la science
et de l’éducation. Il excelle dans l’adversité et fait preuve de fermeté face à
l’ennemi. Son sens aiguisé des affaires fait de lui l’argentier dans tout
commerce. Il a su conserver une prestance son élection divine. Il a le souci
constant de son droit à l’existence et fait valoir ce droit sans complaisance
aucune. Il a fait de la lutte pour sa survie sa raison d’exister. La haine que
les autres ont envers lui ne l’affaiblit point, au contraire, elle le rend
encore plus redoutable dans l’adversité. A l’opposé de l’homme noir, l’homo
israelus a un sens inné de l’organisation et une forte conscience de groupe.
Son ascendance glorieuse fait de lui un individu fier. Les persécutions subies
à Rome, Tyr, Babylone, Dachau, Varsovie et autre part ailleurs l’ont aguerri.
La profonde conviction d’appartenir à un peuple élu de Dieu, lui confère une
confiance en soi inébranlable. Le peuple juif sait faire taire ses divergences
internes et sait prôner l’unité.
Pour le peuple noir
par contre la diversité est source de divisions et de tensions. L’homme noir
pense que le tribalisme est la meilleure forme d’organisation sociale. Il verse
dans le mysticisme pour, croit-il, atteindre Dieu. Sa religion s’appelle culte
des ancêtres. La corporation socioprofessionnelle à laquelle il appartient
s’appelle caste. Il se dit noble ou se fait appeler griot ou forgeron selon son
patronyme. Il a une mauvaise philosophie du travail. Pour lui travail rime avec
servitude, peut-être parce qu’il a été asservi ou parce qu’il est lui-même
négrier et esclavagiste. Demandes à l’homme noir de créer une nation unie et
forte, il mettra sa tribu au-dessus de toutes les autres de sorte que la
discorde et la mésentente compromettront le noble projet de vie en commun.
Demandes au noir de créer un état juste et fort, il créera une dictature
tribale féroce et sanglante. Demandes au noir de nourrir le pauvre et d’aider le
faible, il affamera le pauvre et tuera le faible. Et si jamais on lui confiait
une malle pleine d’or pour nourrir tout un peuple, il s’appropriera de la plus
grande part et laissera les miettes au bas peuple. Demandez-lui enfin
d’organiser la Religion, il la divisera en sectes adversaires.
Mais au fait si
l’homme noir avait su au lendemain des indépendances organiser l’Afrique de manière
à la rendre stable, paisible et prospère, toute la tribu de Cham s’y serait
donné rendez-vous pour une messe de retrouvailles. Quod non! Alors comment
exiger du noir des Amériques, d’Arabie, du Maghreb et des Indes de revenir sur
la terre des aïeux ? Encore que le noir d’Afrique rêve d’évasion, d’exode
et d’exil vers Babylone pour fuir la misère, la guerre et la maladie qui
se sont installées sur sa Terre Promise devenue enfer sur terre.
Le monologue de
Walycor est un chapitre extrait de « Soleil de minuit », roman en
cours de rédaction de l’écrivain et essayiste Abd El Kader Niang.
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